Discours sur la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie

Je suis intervenu dans l’hémicycle le mercredi 15 juillet à propos du texte de loi relatif à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, que j’ai voté avec entrain et enthousiasme. Il existe des raisons techniques à ce choix, la Nouvelle-Calédonie est un territoire en pleine expansion économique, grâce aux ressources minières et au tourisme. Les accords de Nouméa s’inscrivent dans une marche vers l’autodétermination du peuple Néo-Calédonien. Je pense que nous sommes dans l’idéologie la plus totale en refusant de reconnaître les peuples qui composent la République. Même si cela est décrié, on peut considérer que la France est un État fédéral puisque le processus doit permettre aux principaux intéressés, les Néo-Calédoniens, de choisir avant 2018 entre différentes solutions pour l’avenir de leur territoire. Il serait intéressant d’élargir la réflexion à la France métropolitaine.

M. Paul Molac. Madame la présidente, madame la Ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique qui nous est soumis conformément aux conclusions du douzième comité des signataires de l’accord de Nouméa vise à faciliter les inscriptions sur les listes électorales en vue de la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Il dispense de démarches et formalités d’inscription sur les listes électorales, jugées contraignantes pour certaines catégories d’électeurs. Il a aussi pour objet d’améliorer le fonctionnement des commissions administratives spéciales chargées d’établir la liste électorale spéciale pour les élections au Congrès et aux assemblées de province et la liste des électeurs admis à participer à la consultation sur l’évolution politique de la Nouvelle-Calédonie.

La liste électorale spéciale pour la consultation sera établie à la suite de l’entrée en vigueur de la loi organique et sera révisée annuellement jusqu’à l’année du scrutin.

Le texte prévoit les conditions nécessaires à la tenue, le cas échéant, de la troisième consultation prévue par l’accord de Nouméa.

Au Sénat, ont été adoptés cinq amendements rédactionnels et quatre amendements du Gouvernement déposés sur demande du comité des signataires, notamment un amendement sur les électeurs inscrits d’office.

La commission des lois a adopté le texte sans modification.

Ce projet de loi organique permet l’application de l’accord de Nouméa. Ces accords sont le fruit d’une situation qui fut très conflictuelle. Ils ont permis de ramener la paix dans ce territoire d’outre-mer, je ne sous-estime donc pas leur importance. Ils ont permis de mettre fin à la quasi-guerre civile entre les deux parties de la population en évitant le fait majoritaire et en prenant pleinement en compte la minorité. Ce n’est pas si courant dans notre démocratie, dont certains philosophes n’hésitent pas à dire qu’elle n’est que la dictature de la majorité. Ces accords sont d’une certaine façon l’invention d’une nouvelle gouvernance.

Nous avons donc beaucoup à apprendre de la Nouvelle-Calédonie. J’en suis d’autant plus persuadé que, dans un passé proche, la France métropolitaine était persuadée d’avoir beaucoup à apprendre à ces populations, en particulier pour l’organisation politique. Je crois qu’il est temps de comprendre qu’il faut en grande partie nuancer ce schéma. Je note que la République sait faire preuve d’originalité, voire d’audace, pour prendre en compte les spécificités de certains territoires, à condition, bien sûr, qu’ils ne soient pas en France métropolitaine… Décolonisons la métropole, avais-je d’ailleurs suggéré en commission, ce qui avait beaucoup amusé nos collègues d’outre-mer.

Il existe des raisons techniques à ce choix : l’insularité, un riche sous-sol, une position géographique dans l’hémisphère austral, à vingt heures d’avion de la métropole, la culture, bien sûr, de nombreuses langues autochtones. Ainsi, la Nouvelle-Calédonie est un territoire en pleine expansion économique, grâce, bien sûr, aux ressources minières et au tourisme, ce qui lui permet de rivaliser avec la Nouvelle-Zélande par exemple.

Ces accords s’inscrivent également dans une marche vers l’autodétermination du peuple calédonien. L’accord de Nouméa repose sur une double légitimité, d’une part celle qui est reconnue à la population kanake, la légitimité des premiers occupants, et, d’autre part, celle qui est reconnue aux autres communautés, au titre de leur participation à la construction de la Nouvelle-Calédonie. On peut même dire qu’il existe une triple citoyenneté, calédonienne, française et européenne.

Alors, quand on nous parle ici d’unité légitimée et que l’on confond citoyenneté et francité, comme si souvent dans cet hémicycle, je pense que nous sommes dans l’idéologie la plus totale en refusant de reconnaître les peuples qui composent la République. Je suis breton, français et européen, cela fait de moi un citoyen ni meilleur ni pire que les autres.

Je salue donc d’autant plus ce texte que des politiques présentent cette pauvre charte européenne des langues minoritaires, si modeste, comme une menace pour la République. J’apprends par exemple que la langue bretonne est une menace, rien que ça. S’il n’y a que ça comme menace pour la République, je crois que Bernard Cazeneuve peut dormir sur ses deux oreilles, il n’aura pas beaucoup de travail au ministère de l’intérieur.

Ce qui m’amuse beaucoup, c’est que le même personnage qui développe dans son propre département une identité un peu fantasmée, en instrumentalisant les atrocités commises lors de la Terreur en 1793, au nom d’une certaine idée et d’une certaine unité de la République, si je me souviens bien, a dû, puisqu’il est sénateur, voter ce texte sans aucun problème. On est dans une espèce de schizophrénie républicaine, c’est assez curieux. Cela pourrait même être agaçant par certains côtés.

Qu’est-ce que la République, finalement ? Où est l’unité ? Pour moi, clairement, ce n’est ni dans la langue ni dans la culture, ni même dans l’organisation administrative.

L’organisation territoriale mise en place en 1989 et confirmée par le statut de 1999 est totalement différente de ce que l’on peut trouver en métropole. Elle repose sur un fédéralisme dit asymétrique. Lors d’une discussion générale, un collègue me demandait sur tweeter si je n’avais pas fumé la moquette avant de déclarer que la France était un État fédéral. Il me semble bien que la Nouvelle-Calédonie fait encore partie du territoire français. On peut donc considérer que la France est un État fédéral. Le processus doit permettre aux principaux intéressés, les Calédoniens, de choisir avant 2018 entre différentes solutions pour l’avenir de leur territoire.

Quel contraste saisissant avec nos discussions sur la loi relative à la nouvelle organisation de la république, la loi MAPTAM ou le découpage des régions. Je ne parle pas de ces grandes régions informes, sans âme, que nous avons créées dans cet hémicycle, pas moi évidemment, les pauvres Alsaciens par exemple disparaissant purement et simplement. Finalement, les Alsaciens, Bretons et autres ne sont-ils pas les Kanaks de la France métropolitaine ? Voilà une bonne question.

Il semblerait que ce qui est bon pour les collectivités d’outre-mer ne le soit pas pour la France métropolitaine et la Corse. Par exemple, en métropole, une expérimentation quelconque doit être généralisée au bout de cinq ans à tout le territoire, il s’agit d’une disposition constitutionnelle. Quand une région demande à lancer une expérimentation, sur la langue, par exemple, ou l’eau, on ne lui répond tout simplement pas.

Je suis donc vraiment très satisfait de voir une telle unanimité dans cet hémicycle ce soir. Je voterai évidemment ce texte, qui va vraiment dans le bon sens. Je conseille à certains de mes collègues de remplacer dans leurs discours « Nouvelle-Calédonie » par « Corse » ou « Bretagne ». Ils verront que ce qu’ils peuvent dire sur ces pauvres régions de France métropolitaine, destinées à être dirigées uniquement de Paris, est parfois incongru. C’est un exercice qui, je pense, leur ouvrirait l’esprit, mais ils feront comme ils veulent, bien sûr.

M. Philippe Gosselin. On s’éloigne !

M. Paul Molac. Oui et non. La Nouvelle-Calédonie, c’est loin, évidemment, mais je ne vois pas pourquoi le fédéralisme ne viendrait pas aussi en France métropolitaine. J’ai d’ailleurs un peu d’espoir. Le Royaume-Uni s’y est mis en 1999. Comme nous avons toujours un peu de retard – les femmes y ont voté pour la première fois en 1919, 1945 chez nous –, je pense que, d’ici à 2030 ou 2040, la France arrivera elle aussi à être un État fédéral. C’est en tout cas ce que je lui souhaite.

Vous comprendrez donc que nous sommes tout à fait favorables à ce projet de loi organique, que nous voterons avec entrain et enthousiasme.