Intervention sur le devoir de vigilance des multinationales

Le jeudi 29 janvier je suis intervenu en séance sur la Proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

Cette proposition de loi, discutée dans le cadre de la journée parlementaire réservée au groupe écologiste avait été déposée par les quatre groupes de gauche de l’Assemblée nationale (écologistes, socialistes, radicaux et communistes). Elle consiste à instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Le but est de prévenir dans le cadre de leur activité économique toute atteinte aux droits de l’homme ou à l’environnement en France et à l’étranger et de mettre en œuvre le cas échéant des mesures de réparation. Cette proposition de loi a malheureusement été renvoyée aux calendes grecques, dans l’attente d’un hypothétique texte, forcément moins ambitieux sur le sujet.

Compte-rendu écrit de mon intervention

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, la proposition de loi inscrite dans le temps réservé du groupe écologiste par notre collègue Danielle Auroi a fait l’unanimité des quatre groupes de gauche. Elle a également reçu un fort soutien de la population, qui comprend que nos industries et nos grandes entreprises ne peuvent s’exonérer du respect des droits de l’Homme, de l’environnement et d’un certain nombre de droits basiques dont nous jouissons en France. Nos concitoyens comprennent mal qu’elles puissent se conduire de façon parfaitement inacceptable dans les autres pays. Il s’agit ici d’instaurer une obligation de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre à l’égard de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Je salue le travail de Philippe Noguès et Dominique Potier qui ont contribué à l’élaboration en commun de cette proposition de loi.

Celle-ci vise à établir que toute grande entreprise doit veiller aux conséquences de son activité, même indirectes.

Il s’agit de responsabiliser les sociétés transnationales afin de prévenir toute atteinte aux droits de l’Homme et à l’environnement dans le cadre de leur activité économique. Aux yeux du droit actuel, chaque entité d’un groupe multinational est considérée comme autonome et dépourvue de lien juridique avec la maison-mère, ce qui empêche les victimes de saisir les juges français ou européens, alors même que ce sont parfois les décisions de la société mère ou donneuse d’ordre qui sont à l’origine du dommage. Trop souvent, les sociétés mères, mises devant le fait accompli, se retranchent derrière le caractère purement incitatif des principes directeurs internationaux de l’ONU, de l’OCDE ou de la Commission européenne. Sur le terrain, en l’absence de lien juridique, la condition des victimes demeure donc exactement ce qu’elle était avant l’adoption de ces principes directeurs, comme l’a montré le cas du Rana Plaza au Bangladesh, où plus d’un millier de travailleurs du textile ont trouvé la mort et dont les décombres ont livré au jour des étiquettes de lignes de prêt-à-porter de grandes marques, notamment françaises. Les familles des victimes attendent d’ailleurs toujours d’être correctement indemnisées, certaines entreprises ayant refusé de cotiser au fonds de compensation.

Afin de remédier à la situation, le devoir de vigilance prévu par la proposition de loi consiste en une obligation de moyens en vertu de laquelle une société est exonérée de sa responsabilité si elle fournit la preuve qu’elle a mis en place des mesures nécessaires et raisonnables afin de prévenir les dommages. L’esprit de la proposition de loi consiste à encourager plutôt qu’à contraindre, et prend en compte les investissements de moyens humains, matériels et financiers actuellement réalisés par la majorité des entreprises. Il s’agit donc de créer un devoir de vigilance et de sécurité, en laissant les entreprises libres de leurs choix pour se conformer à cette obligation. Si elles sont vertueuses, elles auront évidemment intérêt à le faire savoir.

La proposition de loi n’entraînera pas de délocalisations, comme j’ai pu l’entendre dire en commission. Certaines entreprises font aujourd’hui produire ailleurs que sur le territoire national dans des conditions que nous dénonçons et qui détruisent l’emploi en France. Elles bénéficient d’une forme de dumping social et environnemental et expatrient en quelque sorte les risques, tout en se servant d’une main-d’œuvre à coût bas, voire très bas, s’exonérant en fin de compte de toute responsabilité sociale et environnementale.

Ainsi, voter la proposition de loi consiste au contraire à empêcher la délocalisation, qui se nourrit de ces pratiques parfaitement inacceptables. En outre, la proposition de loi combat l’insécurité juridique. Si forte que soit la jurisprudence de l’arrêt Erika reconnaissant la société mère Total responsable des agissements de l’un de ses sous-traitants, la décision portait sur le manque d’engagements volontaires de l’entreprise. Les motifs retenus pour la condamnation ont donc surpris l’entreprise à l’époque, car il n’existait aucune obligation juridique à ce sujet. Si nous adoptons la proposition de loi, leur responsabilité serait mieux encadrée. Par ailleurs, l’idée selon laquelle un cadre légal du devoir de vigilance n’est possible qu’au niveau international est une erreur. Si les États abritant les sièges des multinationales ne prennent pas les devants, il n’y a rien à attendre, car le droit y est plus protecteur qu’ailleurs et plus à même de réparer les dommages graves causés aux victimes.

J’ai bien entendu l’appel du Gouvernement. Je souhaite simplement que la loi ne soit pas remise aux calendes grecques, ni à la Saint Glinglin, et que nous puissions en débattre effectivement. On nous explique qu’elle est mal faite. Permettez-moi tout de même de faire remarquer que tout semblait juridiquement correct lors de son dépôt. Je suis donc un peu surpris, et m’élèverai évidemment contre un renvoi en commission qui me semble complètement inutile. J’espère que nos collègues franchiront le pas nécessaire afin de promouvoir véritablement la responsabilité sociale des entreprises !

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