Beignon. Alain Maignan, navigateur solitaire. La course hors des sillons
Si c’est faisable, faisons autre chose… Pourquoi aller vers la simplicité quand la complexité est si attrayante ? Tels pourraient être les leitmotivs du navigateur Alain Maignan. Cet ancien facteur résidant dans la commune de Beignon, à quelques pas des sites légendaires du Pont du Secret et du Rocher Glissant, a appris la voile dans les livres et s’est offert — entre autres — l’exploit d’un tour du monde en solitaire.
De la plaisance à la Course du Rhum « en pirate »
« J’ai toujours fait du sport. Ski, moto, vélo sur route, cyclocross… » Compétiteur et jusqu’au-boutiste, Alain Maignan vise l’excellence et s’entraîne avec rigueur et constance. Il est un sportif des terres, jusqu’à ce que les années aient raison de son entrain. À 32 ans, il décide de tourner la page et d’acheter un petit bateau. Là où il réside en Brocéliande, la mer n’est qu’à une heure… « J’ai acheté un petit voilier de 6 m et j’ai bouquiné. » Pendant deux ans, il étudie la théorie et la pratique, en naviguant dès qu’il en a l’occasion. « L’esprit de compétition n’avait pas disparu… À peine ai-je été à l’aise sur mon voilier que je pensais à aller plus vite que les autres. Je change alors de bateau et me lance le défi d’un tour de Bretagne. » Celui-ci accompli, Alain pense régate et change à nouveau de bateau. « Je prends un 9,30 m et je forme un équipage. Cela fonctionne bien. » Cependant, il a des envies d’inédit et d’impossible. « En 1998, j’achète un nouveau voilier, de 10,20 m cette fois-ci. Je sais que le règlement de la Route du Rhum impose des bateaux de 10 m minimum et je veux être le plus petit au départ. Hélas, en 2001, le règlement change et le départ ne peut être pris qu’avec un bateau de 12 m minimum. Je suis désemparé ! Tout était prêt : le sponsoring, le matériel, les financements… J’ai longuement réfléchi et pris la décision qui s’imposait à moi : partir en pirate une semaine à l’avance et faire la course hors course. Mes partenaires me suivaient, le défi tenait bon ! Et puis j’avais une sécurité : en cas de problème, il y aurait du monde pour me secourir. »
Du défi personnel à l’exploit
Au bout de 27 jours de navigation, il atteint Point-à-Pitre. Modeste et discret, il n’amarre pas son voilier au ponton de course, mais à celui des visiteurs. À terre, il apprend que seuls ont accosté Michel Desjoyeaux et Ellen MacArthur, et que sur les quelque 30 participants au départ, 18 ne rejoindront pas la Guadeloupe. Les organisateurs viennent le féliciter et l’inviter à amarrer son bateau parmi la flotte des compétiteurs. À la satisfaction de l’exploit accompli se mêlent un constat — « Je ne m’ennuie vraiment pas en mer ! » — et un vide — « Que vais-je tenter maintenant que c’est fini ? ». Il songe à une Transpacifique (rallier le Japon et San Francisco), mais l’idée d’un Vendée Globe, c’est-à-dire un tour du monde sur 6 mois, toujours en solitaire et hors course officielle, le séduit plus encore.
Il part en 2006, à 52 ans, et revient en 2007. « Cela ne s’est pas fait sans difficulté, mais j’ai réussi. » Il raconte volontiers ses péripéties — 7 chavirages —, ses rencontres impromptues avec des icebergs — « Le radar ne pouvait pas les détecter, et à l’œil nu, ce n’était pas possible, surtout la nuit… » —, ou des épisodes qui auraient pu être dramatiques. « Je me suis retrouvé coincé en haut du mât, alors que je devais réparer mon anémomètre. Impossible de descendre avec le bateau qui avançait et les vagues… J’étais à 4 000 km des côtes, en haute mer, bloqué, sans aucune possibilité d’aide. À force de manipuler et de tirer les cordages, j’ai pu réenclencher le système qui me permettait de descendre en sécurité. » Il appelait alors sa compagne, Nicole, soutien indéfectible de ses projets, tous les deux jours. Alain a bien conscience que pour elle et son entourage, c’est aussi une épreuve. « Moi, je savais que j’étais vivant, mais j’aurais bien pu avoir un problème et n’être plus là 10 minutes après mon appel. Je le savais très bien… Je faisais tout cela hors course, donc sans concurrent ou équ
ipes organisatrices pour me secourir. » C’est d’ailleurs cette dose de risque supplémentaire qu’Alain va chercher : être seul, sans filet, au cœur des déserts océaniques.
Mauvaise fortune de mer
Le dernier projet en date mené par Alain était un tour du monde à l’envers : « Tout change ! Le parcours, les courants, les marées, les vents… » Il partait en 2017 pour 11 mois de tour quand, au bout de deux mois, son bateau percute une « fortune de mer » ou OFNI (un objet flottant non identifié), et se brise. La casse est irréparable. Alain doit se résoudre à stopper sa course. L’expertise du bateau conduit à ce qui est, pour Alain, la pire des révélations : il a heurté un objet en métal. « Quand j’ai tapé, j’ai pensé à une baleine. Cela peut arriver et je l’aurais accepté : après tout, c’est leur terrain de jeu… C’était normal. Mais savoir que c’était de la ferraille, donc un conteneur lâché en mer par un navire, de la pollution humaine, ça, ça m’a mis un coup. » Sur ce sujet, Alain est intarissable et s’enflamme, à juste raison. « La pollution en mer est un sujet peu connu du grand public : pourtant, il est fréquent que des porte-conteneurs s’allègent volontairement de leur marchandise pendant des tempêtes. L’océan en subit les conséquences… On voit des réfrigérateurs, des écrans plats, des bouteilles de gaz, de l’électroménager emballé dans du polystyrène flotter sur l’océan. C’est une pollution omniprésente ! »
Aujourd’hui, il partage l’expérience de ses aventures, heureuses et malheureuses, en intervenant en classe auprès des enfants. « C’est aussi intéressant pour les enfants de parler d’échec, si toutefois échec est le bon mot. Parfois, on met toutes les chances de son côté et on ne réussit pas à atteindre son objectif. Il faut alors persévérer. Il est important qu’ils soient aussi conscients de cela : qu’il faut savoir s’investir, mais que quand tout ne se passe pas comme prévu, il faut aussi avoir la ressource de rebondir et de revenir dans la course. »
Revenir, Alain le souhaite ardemment. Le navigateur sexagénaire recherche à nouveau des financements et sponsorings pour mener à bien l’exploit qu’il s’était fixé. L’aventure prendra d’autres chemins, mais continuera !
En savoir plus sur les aventures d’Alain Maignan :
Le Facteur au long cours, éditions Ancre de marine, 2007.
Ce midi, tu vas te raser et manger ta soupe, éditions Ancre de marine, 2019
Site web : https://alainmaignan.wordpress.com