Retraites : 49-3 et tour de passe-passe à l’Assemblée…
Samedi dernier, le Premier ministre a déclenché le 49-3 qui met fin à la discussion parlementaire. Normalement cet article a été fait pour pouvoir obliger une majorité à voter un texte dont elle ne veut pas. Là, il est juste enclenché pour écourter les débats puisque le vote de cette loi finale ne fait aucun doute. Pourquoi une telle précipitation ? La retraite n’est pas en déficit et si la période 2040 est plus délicate avec des classes d’âge nombreuses à la retraite, on peut se permettre de bien réfléchir et d’avancer avec un projet qui fasse sinon consensus, au moins qui puisse rassembler au delà du gouvernement et de sa majorité.
Il faut revenir au début de la promesse macroniste : une retraite universelle, juste ou chacun aurait la même somme selon ses cotisations. Comment pourrait-on être contre ? De plus , le gouvernement pensait que la suppression des régimes spéciaux et la promesse de 1000 € minimum de retraite allait emporter l’opinion publique. Cependant, le véritable but était-il là ?
Deux ans de concertation suivent mais sans que l’on sache vraiment quel serait le contour de la réforme puis en décembre 2019, les choses s’accélèrent.
C’est évidemment là que les choses se gâtent car bien sûr le diable se cache dans les détails. En fait, l’idée principale qui sous-tend cette réforme est que les retraites coûtent trop cher dans le PIB. Le gouvernement veut baisser cette part. Il ne peut évidemment pas le dire clairement. Cependant, la découverte du projet ne laisse aucun doute sur cette volonté et de nombreux facteurs sont mis à contribution.
D’abord, il s’agit d’augmenter le nombre d’années de cotisation. Comme le président a déclaré dans sa campagne qu’il ne toucherait pas au départ à la retraite à 62 ans, on invente l’âge pivot qui serait à 64 ans puis à 65 …. Les personnes ne pouvant atteindre cet âge se verraient amputés d’une partie de leur pension.
Ensuite par l’intermédiaire du point dont on ne connaîtra la valeur qu’annuellement, on peut faire baisser les retraites très facilement. Certes, la loi définit que la valeur du point ne peut pas baisser. Pourtant, n’importe quelle majorité pourra faire baisser la valeur du point, si elle le vote. Dans le même ordre d ‘idée, les exonérations de cotisations sociales décidées par l’Etat doivent être compensées par le budget de l’Etat. Loi Weil de 1995. La majorité et le gouvernement ont décidé de ne pas compenser en 2020 et ils mettent la sécurité sociale en déficit de 5,4 milliards. Rien n’est voté une fois pour toute.
Puis, le gouvernement invente aussi un indicateur de dépenses par foyer qui n’existe pas aujourd’hui dans l’arsenal de l’INSEE. Pour ne pas voir la fièvre, il suffit de casser le thermomètre.
Enfin, on change un certain nombre de critères comme les modes de calcul pour les retraites de réversion. Il suffit par exemple de baisser les taux réversion en prenant en compte les pensions globales du ménage et non plus la pension du conjoint décédé. Bien sûr, on refuse de prendre en compte les problèmes de pénibilité, seul le travail de nuit est pris en compte.
Pour les promesses de justice, elles sont aussi partielles. Si la SNCF et la RATP voient leurs régimes spéciaux disparaître c’est loin d’être le cas pour tout le monde. Quant à la promesse d’une pension minimum à 1000 €, il faut bien lire les conditions : carrière complète et tous revenus confondus. Une pension d’invalidité, un revenu mobilier ou immobilier, ou encore la pension du conjoint viendront diminuer d’autant les sommes à valoir.
Les Français ont donc pris conscience des risques que faisaient planer cette réforme sur les futures pensions et comprennent le but réel du gouvernement qui est de baisser graduellement les retraites par répartition ce qui fera le bonheur des banques et assurances qui proposeront des retraites par capitalisation pour ceux qui en auront les moyens.
On comprend donc tout de suite pourquoi les simulations du gouvernement étaient incomplètes et tronquées. Le conseil d’Etat l’a souligné en disant qu’il ne pouvait donner un avis circonstancié.
Il est donc évident que le baroud d’honneur de l’opposition à la chambre des députés ne pouvait pas être très efficace. Le passage au sénat, avec une majorité de droite globalement d’accord avec ces idées libérales, ne devrait pas être trop compliqué.
Aussi, je voterai les motions de censure déposées même si je sais que cette procédure est de peu d’efficacité et je continuerais à m’opposer à cette réforme en trompe l’oeil.
Cependant, si l’Assemblée nationale est muselée, le conseil constitutionnel a encore son mot à dire tant le projet de loi est incomplet et non financé.
Une chose est certaine : ce que fait une majorité, une autre peut le défaire.