Marcel Bergamasco : «Ouvrir les yeux bien grand pour que pareille chose ne se reproduise»
Né le 14 mars 1925 à Ploërmel, Marcel Bergamasco est une grande figure du pays. Aujourd’hui, il a 90 ans, une vie d’entrepreneur derrière lui, des enfants, des petits-enfants, et surtout une mission accomplie lors de ses jeunes années, mue aujourd’hui en devoir de mémoire.
Dire non et se battre avec ses moyens
À 14 ans, Marcel Bergamasco a vu la guerre éclater. La Seconde Guerre mondiale fait irruption dans sa vie le 17 juin 1940. Dès lors, sa mission est scellée : nuire à l’ennemi.
Premier contact : un avion de reconnaissance alors qu’il est sur un chantier à Taupont. Le deuxième, une rencontre nocturne : « Il devait être minuit. Je rentrais d’une partie de belote chez des amis quand j’ai aperçu un homme sur la route, un soldat qui semblait perdu. Je lui ai proposé mon aide et il m’a répondu en m’insultant. C’était un Allemand », se souvient-il. Le lendemain, des convois allemands traversent la ville.
Quelques jours plus tard, l’un d’eux fait halte à Ploërmel : « C’était peut-être 100 chevaux qui étaient attachés rue de la Gare, juste à côté de l’entreprise de mes parents. » Marcel Bergamasco est aux premières loges pour voir les Allemands réquisitionner le foin et tout ce qu’il faut pour nourrir les bêtes, sans rien leur laisser. Il réagit aussitôt en postant son chien au dépôt d’avoine, pour protéger ce qui avait échappé à la saisie, et se cache dans un coin. « J’ai vu l’Allemand sortir avec une jambe de culotte arrachée. Mon chien ne l’avait pas raté ! » Le soldat le voit, lui flanque un coup de pied et se met à le poursuivre. L’adolescent en réchappe en coupant à travers le marécage qui jouxte l’entreprise, laissant son ennemi enlisé jusqu’à la ceinture. « À partir de ce moment-là, je me suis dit : Vous paierez les conséquences de ce que vous avez fait ! »
Marcel Bergamasco se souvient avec malice des stratagèmes qu’il employait pour nuire à l’ennemi, de ses ruses aussi : percer les pneus des voitures (« Juste un, pour pas qu’ils voient que c’est volontaire », précise-t-il les yeux rieurs) ou saboter les wagons à la gare.
L’entrée en résistance
En 1943, il entre dans la Résistance par l’intermédiaire d’un employé de son père et du club de football « où tout le monde ou presque était résistant ». Comme il possède ses permis de conduire, il est chargé du transport : d’hommes, de denrées, de matériel. Son permis intéresse également l’ennemi qui le réquisitionne : la distribution de nourriture dans les cantonnements allemands est un prétexte parfait pour l’espionnage. Là encore, il se rappelle les « petites vacheries » qu’il infligeait aux Allemands, feignant la plus grande innocence… « Ça les perturbait ces messieurs, et moi, j’étais content. Je les avais eus encore une fois ! », dit-il malicieux.
Suite logique de son engagement, il entre dans l’armée régulière et combat à Saint-Marcel.
L’arrestation et la cavale pour survivre
Le vendredi 2 juin 1944, Marcel Bergamasco est arrêté, en pleine nuit, alors qu’il roule à bicyclette sur les routes de campagne, après le couvre-feu. La cause ? Le détournement d’un camion de farine. Tabassage en règle. Interrogatoire via un interprète. Il apprend qu’il sera transféré à Vannes. Le dimanche étant jour de relâche, il sait que s’il a une chance de s’en sortir, cela se joue ce jour. « J’ai attendu qu’il n’y ait plus de bruit. Un Allemand est venu tout seul, en chemise et pantalon. Il a ouvert la porte. Je l’ai fait tomber la tête la première dans l’escalier et je me suis évadé », raconte-t-il, en revivant l’épisode à mesure que ses mots traduisent la scène.
Bien sûr, il est activement recherché. La gendarmerie française prévient ses parents qu’ils doivent quitter le département au plus vite pour ne pas être inquiétés. Le résistant a alors dû se cacher, prendre les chemins de traverse. Il a le souvenir ému d’un paysan qui l’avait alors accueilli chez lui, lui offrant à manger, alors qu’il souffrait de malnutrition et des suites de son passage à tabac : une hémorragie qui le privait de ses forces. Quand il apprend que ses parents sont à Saint-Méen, il fait le trajet à pied depuis Helléan, par les champs, pour les rejoindre. Il est soigné dans la clandestinité et reprend des forces.
Il poursuit son action de résistance. « J’ai monté un bataillon d’appelés avec Émile Guimard, raconte-t-il. J’ai fait du recrutement. Je suis aussi allé chercher du matériel. » Il se souvient de son émerveillement devant le matériel américain, et bien sûr de son grand bonheur lorsqu’il a appris que l’armistice était signé. Il était à Rennes ce jour-là, « et vers 16 heures, on est allé fêter ça dans un grand bal populaire ! » Il garde aussi le souvenir ému de sa rencontre avec le général de Gaulle, et une reconnaissance infinie : « J’ai pu serrer la main du général de Gaulle en 1947, à Ploërmel, au Monument aux morts. Sans lui, où serions-nous ? »
La vie… et le souvenir
Après ça ? Eh bien, il a repris sa vie professionnelle. « J’ai repris le travail comme si je ne l’avais jamais quitté. Ma mission, c’était de mettre les Allemands hors de France. Ceci fait, j’étais libéré. » Il quitte l’entreprise de son père, monte la sienne, fonde une famille. La vie continue.
Évidemment, Marcel Bergamasco est resté en contact avec les autres résistants, tous unis par une grande fraternité. Il reprend le cours de sa vie, mais il ne peut oublier l’épreuve qu’il a vécue et le combat que la Résistance a mené. Il appartient donc à l’association des Anciens résistants de Saint-Marcel et est le président de l’association des Anciens combattants résistants de Ploërmel et de sa région. Son message aujourd’hui ? « Ouvrir les yeux bien grand pour que pareille chose ne se reproduise. »