Rejet de ma proposition de loi sur les langues régionales : un coup de Trafalgar déplorable
Je déplore avec consternation le rejet par l’Assemblée nationale de ma proposition de loi relative à l’enseignement immersif des langues régionales et à leur promotion dans l’espace public et audiovisuel inscrite dans le cadre de la journée parlementaire réservée au groupe écologiste. Alors que tous ses articles avaient été votés, et que des articles additionnels y avaient été ajoutés, un artifice du règlement a permis de faire voter des députés socialistes non présents. C’est l’ensemble de la proposition de loi qui a été rejetée à une voix de majorité au mépris du rapport de force dans l’hémicycle favorable à une version ambitieuse de l’initiative parlementaire.
Après le rejet par la droite Sénatoriale de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires en octobre 2015, c’est une nouvelle opportunité ratée. On constate que si la franche hostilité n’est plus de mise en France, on n’en est pas encore au stade de la promotion des langues régionales. La France est un des derniers pays à ne prévoir aucun statut pour ses langues régionales, statut qu’elle défend à cor et à cri pour la langue française à l’international : cherchez l’erreur !
J’appelle les députés défenseurs des langues régionales et les associations à se mobiliser afin d’exhorter le Gouvernement à ce que soit adoptée d’ici à 2017 une initiative qui puisse faire oublier ces deux échecs successifs et ainsi honorer les engagements pris et préserver ce patrimoine exceptionnel. En ce qui me concerne, je profiterai de toute opportunité législative pour continuer ce combat dans l’hémicycle.
Discours de présentation de la proposition de loi
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mes chers collègues, depuis 2008, l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la République est reconnu par l’article 75-1 de la Constitution ; or, depuis cette date, aucune loi n’a mis fin à l’hémorragie de locuteurs à laquelle elles font face. Pourtant, encore très récemment, nous en avions l’occasion, par le biais du projet de loi constitutionnelle tendant à autoriser la ratification de la Charte européenne des langues régionales, mais il a été rejeté par le Sénat le 28 octobre dernier, alors que la proposition de loi de même objet avait été adoptée à une large majorité – 361 voix contre 149 – à l’Assemblée nationale.
Cette position, au mieux indifférente et passive, au pire hostile, est intenable. Elle est intenable vis-à-vis de nos partenaires. Comment faire tant pour la francophonie, au nom de la diversité linguistique mondiale, et ne rien faire pour protéger l’exceptionnel patrimoine que constituent les soixante-quinze langues régionales menacées de disparition ? Presque tous nos voisins ont adopté une législation favorable. En France, on a réalisé, il est vrai quelques avancées, en particulier avec le gouvernement actuel, mais il reste encore énormément à faire.
En conséquence, le déclin des langues régionales sera bientôt quasi inexorable : 12 % des Français parlent aujourd’hui, même occasionnellement, une autre langue que le français, alors qu’ils étaient 26 % à le faire dans leur enfance ; 75 % des adultes qui parlaient enfant une langue régionale ne le font plus du tout. Entre les générations nées en 1930 et celles nées en 1980, le nombre de personnes capables de s’exprimer en langue régionale a été divisé par deux pour le basque, par trois pour l’alsacien et par dix pour le breton.
Cette position est surtout intenable vis-à-vis des cinq millions de locuteurs qui demeurent, dont il est indécent de considérer qu’ils formeraient des dissidents du corps national et insultant de prétendre qu’ils maîtriseraient moins que les autres le français. Apprendre une langue régionale, ce n’est pas désapprendre le français ; l’étude concrète des compétences des doubles locuteurs tend même, plutôt, à démontrer l’inverse. À titre d’exemple, les écoles associatives de langue régionale, où le français, mais surtout la langue régionale, sont enseignés, ont d’excellents résultats à tous les tests de l’éducation nationale, en particulier au bac.
En l’absence de ratification de la Charte, il est donc plus urgent que jamais de mobiliser tous les autres instruments disponibles, dont la loi, pour donner une réalité à l’objectif de sauvegarde des langues régionales induit par leur consécration dans la Constitution.
Deux éléments sont indispensables pour la fondation d’un régime juridique assurant la survie de nos langues. Il s’agit en premier lieu de l’éducation, car une langue, pour exister, doit d’abord être apprise, connue, sue : tel est l’objet des articles 1er à 3 de cette proposition de loi, supprimés en commission mais que je proposerai de rétablir. Il s’agit en second lieu de la présence dans la vie sociale et les médias, car, pour vivre, une langue doit être régulièrement parlée, lue, entendue : tel est l’objet des articles 4 et 5.
Pour l’enseignement des langues régionales, l’éducation publique se voit confrontée à un obstacle de taille, les juges ayant détourné l’intention de la révision constitutionnelle de 1992 reconnaissant le français comme la langue de la République et de la loi Toubon de 1994, qui assigne à l’école l’objectif d’assurer la maîtrise du français. Alors que ces lois visaient à lutter contre l’hégémonie de l’anglo-saxon, elles ont développé une jurisprudence hostile aux langues régionales. Le Conseil constitutionnel refuse ainsi qu’un particulier puisse se prévaloir d’un prétendu droit à l’usage des langues régionales. Le Conseil d’État a, lui, annulé une partie des arrêtés et circulaires Lang de 2001 en estimant, sur le fondement de la loi Toubon, qu’un enseignement bilingue qui consacrerait plus de la moitié du temps aux langues régionales excéderait les possibilités de dérogation à l’enseignement en français admises par le code de l’éducation – il ne s’agit pas là de règles constitutionnelles, j’y reviendrai à propos de l’article 1er.
Malgré cela, au cours de cette législature, les choses ont avancé. D’abord, la loi Peillon pour la refondation de l’école de la République de 2013 a été la première à reconnaître dans le code de l’éducation l’enseignement dit « bilingue ». Elle a fait obligation aux pouvoirs publics d’informer les parents de l’existence de ces offres d’enseignement. Puis la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République de 2015, dite « NOTRe », a introduit un régime cohérent de compensation entre les communes des frais de scolarité des enfants inscrits dans une école publique bilingue d’une autre commune que celle de leur résidence.
La loi Peillon a maintenu une forme d’ambiguïté en introduisant dans le code de l’éducation l’enseignement « bilingue » sans plus de précision. Or, le Conseil d’État, au mépris des évidences pédagogiques, avait tracé en 2001 une frontière très abstraite en interdisant que l’enseignement public bilingue dépasse la parité horaire. Je pense que le législateur, en ne reprenant pas, en 2013, cette conception de « parité horaire », a manifesté la volonté de reconnaître toute forme d’enseignement bilingue, dès lors qu’il respecte les obligations de maîtrise du français définies par les autres articles du code de l’éducation, en particulier le socle commun. Il serait cependant utile de le préciser clairement, de façon à lever définitivement tout doute et à conférer un fondement légal, clair à des pratiques expérimentées de longue date par l’enseignement public, notamment dans les Pyrénées-Atlantiques ou en Bretagne. Tel est l’objet de l’article 1er, qui ne nous paraît absolument pas inconstitutionnel. Je proposerai donc de rétablir cet article, en ajoutant que l’enseignement de la langue régionale au-delà de la parité horaire est possible lorsqu’il est nécessaire à l’apprentissage de cette langue, dans le respect des objectifs de maîtrise de la langue française.
Par ailleurs, les enseignements bilingues immersifs dits associatifs – tels Diwan, Seaska, Calandreta, Bressola – sont dans une situation financière extrêmement difficile, parce qu’à la différence des écoles privées traditionnelles, qui ont constitué leur patrimoine au long de l’histoire de l’éducation, ils n’ont pu se développer que récemment, lorsque l’éducation nationale a abandonné sa posture très hostile aux langues régionales. L’état de la législation décourage le développement de l’enseignement bilingue immersif, alors même que cet enseignement est le plus efficace pour permettre à des jeunes coupés de tout environnement linguistique régional de s’exprimer dans la langue régionale, sans diminuer en rien leur maîtrise du français. En attestent les résultats éloquents de Diwan, qui pratique un enseignement immersif avec beaucoup de breton en maternelle et l’introduction du français en CE2. Ses taux de réussite aux tests de CM2 et du brevet excèdent de 10 % la moyenne des établissements voisins. Or, vous savez que la Bretagne est l’une des académies affichant les meilleurs résultats aux examens. Par ailleurs, le taux de réussite au bac des écoles Diwan avoisine 100 %, alors que la proportion d’élèves boursiers y est supérieure à la moyenne régionale.
Les articles 2 et 3 visent à lever, à leur profit exclusif – j’insiste sur ces mots –, l’interdiction ou, le cas échéant, le plafonnement à 10 % des dépenses annuelles des subventions d’investissement accordées par les collectivités territoriales, respectivement, aux écoles à statut privé, en vertu de la loi Falloux de 1850, et aux collèges et lycées généraux et technologiques privés, en vertu de la loi Goblet de 1886, tel qu’interprétée depuis 1990 par le Conseil d’État. Cette dérogation est justifiée par un motif d’intérêt général exceptionnel, reconnu par la Constitution en son article 75-1 à savoir la préservation des langues régionales, éléments de notre patrimoine, qui ne peut être atteint que par l’éducation. Toutes les garanties seraient prises : l’enseignement devrait y être gratuit, ouvert à tous, laïc et respecter les programmes nationaux. En outre, tout établissement privé assumant les mêmes missions devra bénéficier des mêmes subventions. Enfin, ces aides ne devront en aucune manière aboutir à placer leurs bénéficiaires dans une situation plus favorable que celle du service public, compte tenu des obligations particulières qui lui incombent.
À côté de l’éducation, le second pilier d’une politique cohérente en faveur des langues régionales réside dans l’accroissement de leur visibilité, aujourd’hui trop marginale et inégale. L’article 4 vise à encourager et à rationaliser la pratique des traductions en langue régionale des signalisations et des supports de communication, pour lesquelles les pratiques sont aujourd’hui très hétérogènes. L’idée est de confier à la région, dont le rôle particulier dans la promotion des langues régionales, il est vrai dans le respect des compétences des autres échelons, est reconnu par l’article L. 4221-1 du code général des collectivités territoriales, la faculté de demander aux services publics d’adopter une politique cohérente en la matière. Ce serait à nos yeux une avancée importante. Cette mesure serait tout à fait pertinente, car les régions ont pour particularité d’avoir à leurs côtés des offices publics des langues régionales, par exemple pour la langue bretonne ou la langue basque ; il en existe aussi en Alsace, en Occitanie et en Corse. On peut donc s’appuyer sur des fonctionnaires formés à ce type de travaux.
Pour parer au possible écueil de l’imposition de cette mesure, en contradiction avec le principe de la non-tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre, je proposerai un amendement visant à ce que la demande de la région ne s’applique aux services publics concernés que par voie conventionnelle ou contractuelle. La région garderait une dynamique d’impulsion et pourrait proposer ses services, ses moyens et ceux des offices publics des langues régionales qui lui sont attachés. Elle pourrait d’ailleurs utilement, dans les conférences territoriales de l’action publique – les CTAP –, établir des conventions avec les autres collectivités locales. La Poste, la SNCF et divers services publics locaux sont en capacité de faire de la signalétique bilingue, à condition de recevoir un soutien technique, linguistique, voire financier de la part des collectivités locales et, surtout, des offices publics des langues régionales directement rattachés aux conseils régionaux. C’est pourquoi nous estimons que la région doit avoir cette capacité d’impulsion.
L’article 5 vise à conférer au Conseil supérieur de l’audiovisuel le rôle de veiller à l’attribution d’une place significative aux langues mais aussi – dans sa rédaction issue de l’examen en commission – aux cultures régionales dans l’audiovisuel français.
Le rapport du comité consultatif pour la promotion des langues régionales, présidé par Rémi Caron, et remis à Mme la ministre de la culture en juillet 2013, précisait que le nombre d’heures de langues régionales est jugé par la plupart des spécialistes comme insuffisant pour permettre une visibilité et une exposition des langues qui soient en mesure de pérenniser leur existence. Nous souhaitons y remédier.
Voilà exposées les raisons d’une telle proposition de loi, l’une des très rares sur le sujet pouvant être débattues dans cet hémicycle. Si modeste puisse être la contribution, la situation des langues régionales impose que nous puissions avancer de concert.