Claudine Josso, l’esprit du bois, l’esprit d’entreprendre
D’abord installée à Malansac, aujourd’hui au Roc-Saint-André, dans la commune nouvelle du Val-d’Oust, la scierie Josso a été créée par l’arrière-grand-oncle de Claudine Josso, reprise par son grand-père, son père, puis elle. Actuelle présidente et gérante, Claudine Josso n’avait pas la vocation de poursuivre l’aventure familiale, mais elle avait le goût d’entreprendre, de construire et l’amour du bois.
La saga d’une entreprise familiale
« J’ai repris la société en 1987, à la mort de mon père », raconte Claudine Josso. À l’événement tragique s’ajoute un contexte de crise, le marché de la palette étant en plein bouleversement. Sa mère travaillait alors aux côtés de son époux et, comme c’était souvent le cas pour les femmes d’artisan, elle le faisait sans aucun statut officiel. « Nous nous sommes consultés entre frères et sœurs, avons pesé le pour et le contre : ou l’on déposait le bilan, ou l’on remontait la pente. Il y aurait eu trop de dommages collatéraux à fermer, j’ai alors décidé de relever le défi. » Pourquoi elle ? Cela faisait quelque temps qu’elle s’intéressait à l’entreprise avec son père. Au moment de prendre cette décision, elle avait elle-même sa société de conseils en entreprise sur la formation, le recrutement et le management. Le monde entrepreneurial, elle le connaissait. L’un de ses frères prend alors en charge la partie commerciale, mais ne souhaite pas avoir la direction de la société. Claudine Josso en endosse la responsabilité, en cogérance avec sa mère, une fonction qu’elle assume en parallèle de son entreprise existante.
Des opportunités à saisir
« Le premier défi a été de restaurer la trésorerie, un vrai chemin de croix… Toutes les banques nous conseillaient de déposer le bilan. Il y avait quand même une vingtaine d’emplois en jeu ! » Elle réussit à trouver un prêt, grâce à un ami de la famille : « comme quoi, la vie est faite d’opportunités qu’il faut savoir saisir ! » L’entreprise redémarre. Les vingt emplois sont sauvés. Aujourd’hui, c’est plus d’une centaine de personnes qui travaillent pour la société familiale.
De Malansac au Roc-Saint-André
« Cinq ans après, en 1992, nous sortions la tête de l’eau. Le chiffre d’affaires ayant bien augmenté, nous savons que nous pourrons survivre et nous développer. » En 1995, l’entreprise qui était dans le centre de Malansac a besoin de s’agrandir : c’est l’année du déménagement dans la ZI du Bolin, au Roc-Saint-André, en lieu et place d’une ancienne scierie. L’investissement est énorme : rachat du site, des machines, installation du matériel, aménagement des ateliers.
« Faut que j’y aille »
Nouvelle crise en 1998 : une situation conflictuelle avec le directeur conduit à son départ, dans des conditions particulièrement difficiles. « Là, je me suis dit : faut que j’y aille ! C’est une crise trop dangereuse pour la vie de l’entreprise. » Forte de sa légitimité familiale, curieuse de franchir le fossé qui sépare le conseil en management de son application réelle, « de voir en vrai la vie de chef d’entreprise », elle se lance. Elle finit ses contrats en cours dans sa propre société et la. « J’y suis à plein temps depuis 1998. »
13 millions d’euros d’investissement
La société ne manque pas de projets, mais se laisse le temps de calmer le jeu après son dernier investissement. Un projet que Claudine Josso mûrissait depuis 2009 et qui a été mis en place en 2012-2013 : 13 millions d’euros d’investissement, le passage de 60 à 94 salariés en deux ans et l’augmentation du chiffre d’affaires dans le même temps de 12 à 20 millions d’euros.
Le bois, un matériau noble à respecter
Depuis qu’elle est enfant, Claudine Josso baigne dans l’univers du bois. « Même si je n’avais pas fait l’École du bois, j’avais d’autres points forts. Certes, je maîtrisais mal l’aspect technique, mais je savais m’entourer de compétences : c’est très intéressant, et c’est aussi un atout. » Passionnée, elle découvre la filière du bois, un métier de production qui travaille avec de la matière vivante. « Le cycle de vie de l’arbre et de la forêt n’est pas le même que celui de la scierie. Il faut donc une gestion économe de la forêt, mais aussi utiliser chaque partie de l’arbre au mieux. » Elle explique ainsi que lorsque l’on rentre un billon (le tronc de l’arbre coupé, sans les branches), seuls 50 % pourront être transformés en planches. Le reste : la sciure, l’écorce, les copeaux, etc., tout cela sera commercialisé pour la fabrication de panneaux agglomérés, le papier, la litière, les granulés ou pellets pour le chauffage. Tout est exploité, « comme dans le cochon, tout est bon », ajoute-t-elle en souriant.
« Depuis 1987, j’ai vu l’évolution des consciences quant à la replantation. Chez Josso, nous essayons de sensibiliser : un arbre coupé pour un arbre planté. Il y a une vraie mobilisation à propos de la gestion durable dans la filière bois. Les choses se font, mais tout ne peut pas être résolu d’un coup. »
Femme et chef d’entreprise
Claudine Josso ne se sent pas simplement chef d’entreprise, elle se sent femme-chef d’entreprise. Une nuance qui est une difficulté supplémentaire dans des mondes majoritairement masculins : la gérance d’entreprise et le bois. « Être une femme-chef d’entreprise n’est pas anodin. On est toujours regardée, observée, mise au défi. Il y a des attentes particulières. » Comme le fait de s’inquiéter de sa vie familiale, alors que l’on n’interrogerait pas un homme à ce sujet.
« Apprendre à se connaître dans la paix »
« J’arrivais dans une situation inconfortable, car le directeur que je remplaçais était très bien intégré dans le milieu. Au début, j’étais réservée, je me faisais toute petite. J’y suis allée tranquillement : autant apprendre à se connaître dans la paix. Aujourd’hui, tous savent que quand j’ai quelque chose à dire, je le dis. »
Vice-présidence de la Fédération nationale du Bois
Claudine Josso fréquente volontiers les réseaux de chefs d’entreprise. Si elle apprécie les réseaux féminins ou locaux comme le CEPP (club des entreprises du pays de Ploërmel), elle s’est engagée auprès de la FNB (Fédération nationale du Bois), dont elle est aujourd’hui l’un des vice-présidents. « Je suis depuis 10 ans maintenant à la commission sociale de la fédération, et coprésidente de cette commission également. C’est normal que je m’intéresse au social, je suis une femme ! » dit-elle par provocation, en écho aux clichés qui l’exaspèrent.
L’humain d’abord
Le social est un des aspects de l’entreprise qui la passionne, et l’occasion de renouer avec son premier métier : gérer les conventions collectives, les formations, les salaires, valoriser les métiers, attirer les compétences… « C’est tout ce qui fait vivre une entreprise ! » D’ailleurs, quand elle décrit son activité, l’humain prime : « La gestion de l’entreprise, c’est d’abord l’humain. Viennent ensuite la ressource, les outils et le suivi des marchés. » Elle insiste sur le climat serein dans l’entreprise, l’importance de prendre plaisir à venir travailler et le goût du travail bien fait. « Chaque entreprise a sa propre culture. Pour moi, c’est important de pouvoir la faire perdurer. C’est un défi constant ! »
Son engagement pour l’humain, pour l’entreprise et pour la filière bois, ainsi que son parcours exemplaire de femme-chef d’entreprise ont été récompensés en 2015 puisque Claudine Josso a été élevée au grade de Chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur. Une récompense à laquelle elle n’a pas manqué d’associer toute son équipe.