Discours sur la promotion des langues régionales
Le mercredi 30 novembre, je suis intervenu en discussion générale sur la proposition de loi du groupe socialiste relative à la promotion des langues régionales.
M. Paul Molac : Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour un sujet sulfureux – sulfureux ici, pas forcément en région – car il remet en cause, non pas la République, mais la conception toute ethnique et nationaliste que certains s’en font.
Ethnique, disais-je. Quel besoin a-t-on d’accoler à l’idée de République ce marqueur ethnique qu’est la langue française ? En son temps, le regretté Guy Carcasonne avait ainsi souligné ce paradoxe : « La République a-t-elle besoin d’une langue ? » Si la République a besoin d’une langue pour que nous puissions nous comprendre, elle ne doit en aucun cas en faire la langue unique et utiliser les moyens dont elle dispose pour éradiquer toutes les autres.
C’est pourtant ce qu’elle a fait pendant des années, développant une politique d’éradication en s’appuyant en particulier sur l’école et sur l’administration. On pense bien sûr à ces préfets qui, recevant les promus au concours d’instituteur, leur disaient : « Souvenez-vous, messieurs, que vous n’êtes en place que pour tuer la langue bretonne. »
La République s’est encore pervertie dans cette politique ethnique en inscrivant à l’article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français ». Cette mention pourrait prêter à sourire : c’est un peu comme si un État laïc inscrivait dans sa Constitution qu’il a une religion unique, comme si la République reposait sur la langue et sur une culture uniques.
Cela pourrait prêter à sourire si nos langues n’étaient pas menacées de disparition à brève échéance, selon les études de l’UNESCO : une perte culturelle irremplaçable ! Cela pourrait prêter à sourire si le candidat désigné à la primaire de droite ne s’était félicité en 2012 de l’effacement des langues régionales. S’il était élu – mais il ne le sera pas –, il ajouterait à la régression sociale et environnementale la régression culturelle.
Si la République est laïque, c’est pour être juste envers toutes les religions. La République se doit d’être diverse pour tenir compte des langues, des cultures et des peuples qui la composent. C’est justement le sens de cette proposition de loi que de donner une assise juridique à l’usage des langues régionales. Je pense bien sûr à Pierre Joxe, qui avait inscrit dans sa loi le « peuple corse, partie intégrante du peuple français » : c’est la preuve que nos grands hommes peuvent se montrer ouverts, même des ministres de l’intérieur !
Il faut bien le dire, le corpus législatif sur les langues régionales est des plus restreints : quelques mentions dans la loi Peillon – c’est un progrès – et pratiquement rien dans les autres textes. On ne peut s’empêcher de songer à l’article 21 de la loi Toubon sur l’usage du français : « Les dispositions de la présente loi s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage. » Encore faudrait-il qu’il existât une législation et une réglementation positives sur les langues régionales ! Tel est le but de la présente proposition de loi. Je ne trouve donc pas que cela soit anodin, notamment pour les raisons idéologiques que je viens d’expliquer. Barère est loin d’être mort !
Je souligne également que, dans cette législature, les langues régionales sont sorties de leur anonymat. J’ai parlé de la loi Peillon ; j’ajouterai que, depuis la loi Deixonne de 1951, une cinquantaine de propositions de loi sur les langues régionales ont été déposées sur le bureau de l’Assemblée, sans qu’aucune ne soit discutée.
Dans cette législature, il en a été question dans plusieurs projets de lois. Nous avons également discuté en janvier dernier d’une proposition de loi sur les langues régionales – la mienne, en l’occurrence – : rejetée par un artifice de procédure, elle a finalement provoqué ce sursaut qui nous permet d’en rediscuter aujourd’hui. Alors je ne vais pas bouder mon plaisir, pour une fois – une des rares fois ! – que l’on se penche sur nos langues.
Cette proposition de loi concerne les trois domaines essentiels à la mise en œuvre d’une réelle politique de sauvegarde des langues régionales : l’enseignement, les médias et la signalétique.
Concernant l’enseignement, je salue la volonté d’appliquer aux régions le désirant, sur tout ou partie de leur territoire, le modèle corse d’une langue régionale enseignée dans le cadre de l’horaire normal. En outre, l’article 1er précise que la langue régionale « est enseignée », et non qu’elle « peut être enseignée » : elle est enseignée dès lors que cela est possible. Si l’on écrivait « peut », on trouverait malheureusement beaucoup de recteurs pour s’y opposer ! L’on inverse ainsi l’ordre des choses pour que, dans ces territoires, la langue régionale soit enseignée par défaut à tous, à l’exception de ceux qui expriment leur refus.
Je ne peux toutefois que regretter l’absence de dispositions créant une possibilité de financement des écoles associatives de langues régionales, gratuites et ouvertes à tous – Diwan en Bretagne, Ikastolak au Pays-Basque, Calandretas en Occitanie. Celles-ci ont pourtant fait la preuve de la qualité supérieure à la moyenne française de l’enseignement qu’elles délivrent. Leurs résultats en français sont excellents ! Il est temps de leur rendre justice !
Concernant la signalétique et les médias, les dispositions contenues dans cette proposition de loi, qui rejoignent en partie celles contenues dans la mienne, sont de nature à renforcer la présence des langues régionales dans l’espace public mais aussi privé, par le biais de la radio et de la télévision. Une langue qui ne se lit pas et ne s’entend pas est une langue en péril. Beaucoup d’autres avancées importantes pourraient être réalisées par le biais d’une telle proposition de loi ; nous en discuterons tout à l’heure.
Mes chers collègues, même si je regrette les soubresauts que l’on fait souvent subir aux initiatives législatives sur les langues régionales, je suis donc plus que favorable à cette proposition de loi, dont j’espère qu’elle pourra suivre son cheminement jusqu’au bout afin de créer un véritable droit positif pour nos langues : elles en ont grandement besoin !