Armoric Cinéma à Malestroit. Une perle du paysage culturel depuis 90 ans

L’Armoric Cinéma de Malestroit a célébré cette année ses 90 ans. Ce lieu, atypique et transgénérationnel, invite petits et grands à s’évader et à découvrir le monde. Il a su évoluer avec son temps et se renouveler au rythme des transformations de la société et des technologies. Il met à l’honneur de nombreux artistes, tous arts confondus, et est lui-même un espace consacré à l’art. Ce cinéma a une âme… Pourquoi ne pas lui donner directement la parole ? Une fois n’est pas coutume, c’est ce que nous avons fait ici. À lui, l’Armoric Cinéma, de vous conter son histoire.

Michel Bailly, président depuis 2016, et François Raflegeau, président de 1986 à 2011, font vivre avec passion l’Armoric Cinéma.

Un cinéma acteur de la résistance

On ne connaît pas précisément ma date de naissance, mais elle est estimée à 1928 ou 1929. Je m’appelais « Cinéma des Gardes de l’Oust ». Malestroit a été précurseur pour l’installation du cinématographe et, pendant longtemps, je n’ai pas joué cavalier seul. Dans ma commune, j’ai partagé la vedette pendant environ 15 ans avec celui que je surnommais « le cinéma du diable ». L’Aiglon se situait près de l’Aigle d’or et était laïc, alors que moi, j’étais géré par le patronage, c’est-à-dire par l’église. Pendant la guerre, il a servi de salle de classe. Lui comme moi avons continué à fonctionner. Par contre, j’ai fait de la résistance ! À la période de l’Occupation, celui qui assurait les projections, M. Le Port, avait trouvé la parade pour ne pas diffuser les courts-métrages de la propagande allemande… Il projetait uniquement des films en format 35 mm alors que ceux des nazis étaient en 16 mm. À la fin du conflit, j’ai sérieusement été mis en concurrence avec l’Aiglon. Le CNC (Centre national du cinéma) ne consentait qu’une seule carte d’exploitation pour la commune. C’était lui ou moi. Sans doute est-ce mon engagement qui a joué en ma faveur, car M. P.-M. Kœnig — le frère du célèbre général —, sympathisant des maquisards de Saint-Marcel, est intervenu personnellement auprès des plus hautes instances pour que l’autorisation me soit accordée. Une condition est toutefois imposée : que l’on me sécurise. Les travaux ont été menés et… je suis toujours là !

Un cinéma et plus encore…

Être un cinéma ne me cantonne pas à projeter des films. Je suis un lieu de culture et de convivialité à part entière. Mes statuts, établis avec l’AEP (Association d’éducation populaire) en 1946, le traduisent parfaitement : je participe concrètement à « promouvoir, soutenir, favoriser l’enseignement et l’éducation populaire ». 70 ans plus tard, je fais toujours vivre mes engagements et je les ai même renouvelés. Ainsi, je propose des séances spéciales pour m’adapter à tous les publics. Il est difficile pour les personnes âgées de se déplacer le soir à la nuit tombée ? Qu’à cela ne tienne : les « lundis cinéma » les convient deux fois par mois à des séances à 14 h 30. L’UTL (Université du Temps Libre) profite de ma salle pour des conférences, car j’offre un confort sans égal. Quant aux plus jeunes, je les reçois très régulièrement avec leurs professeurs pour les séances « Cinécoles » et avec leurs parents ou grands-parents pour les festivals « Écrans 56 » et « Cinéfilou ».

J’ai vu, au fil des années, les évolutions des habitudes et des usages. Avant les années 2000, on coupait les films, comme ça, en plein milieu, pour laisser un entracte. Un grand bar — qui était alors en lieu et place du hall actuel — permettait de se rafraîchir ou de grignoter quelques friandises. Pour ceux qui ne bougeaient pas de leur siège, des ouvreuses proposaient la vente en salle dans leurs paniers, accrochés autour de leur cou. Cette tradition a disparu avec la transformation en 1998 de l’espace.

Un lieu unique où l’art est partout

J’ai vécu quelques transformations. Le nombre de mes places est passé de 400 à 234, avec une étape à 258 suite aux travaux de 1974. Le plus gros chantier et le plus bel investissement se sont déroulés entre 1998 et 2001. En 1998, on a liquidé mon bar et fait de moi la perle rare que je suis aujourd’hui. Mon hall est devenu un décor de cinéma en trois scènes : un espace « fantastique » en mode vaisseau spatial pour la caisse, une partie « nuit dans le Paris des années 30 » avec peintures en trompe-l’œil et vieux kiosque à journaux, et une autre « jour » dans une ambiance western. Plusieurs artistes plasticiens et artisans ont œuvré de concert et, à chaque fois que j’accueille de nouveaux spectateurs ou des instances officielles de contrôle, je fais grande impression. Moi et mon équipe de bénévoles ne sommes pas peu fiers quand nous lisons l’émerveillement et la surprise dans les yeux de nos invités. Une deuxième session d’importants travaux a été opérée en 2001. On s’est battu pour moi à coup de dossiers de subvention et de soutiens. C’est grâce en partie à l’Europe que j’ai pu obtenir les fonds nécessaires — 3 millions de francs ! — et retrouver une nouvelle jeunesse. Du beau monde était présent pour mon inauguration : Emmanuel Poirier, réalisateur, a été désigné comme mon parrain et s’est déplacé pour l’occasion. Il est venu avec l’acteur Sacha Bourdo. J’ai aussi bien connu l’acteur Daniel Rialet, originaire de Malestroit, qui a donné son nom à l’impasse où je suis situé. Mais surtout… Que serais-je sans les formidables bénévoles qui se succèdent depuis plusieurs générations pour que je puisse offrir rêve, évasion et divertissement à tous ? Merci à eux d’avoir su me faire évoluer au rythme des transformations de mon art ; merci aux équipes d’avoir investi pour que je reste toujours à la pointe ; merci à tous, bénévoles, artistes et spectateurs, de m’être si fidèles !

Aujourd’hui, le cinéma de Malestroit rassemble une équipe de 40 bénévoles, se répartissant les nombreuses tâches de caisse, projection, programmation, ainsi que les aspects administratifs et organisationnels. À eux tous, ils diffusent plus de 200 films par an pour 15 000 spectateurs annuels. Resté l’un des rares cinémas associatifs indépendants, il a assuré son avenir pour quelques décennies encore puisqu’une convention courant sur près de 70 ans avec le diocèse, propriétaire des murs, a été récemment signée. Longue vie à l’Armoric Cinéma !

Lien :

www.armoric-cinema.com

www.facebook.com/Malestroit56

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