Discours sur le droit de préemption des salariés
Le jeudi 7 mai je suis intervenu dans l’hémicycle sur la proposition de loi relative au droit de préemption des salariés.
Il s’agissait d’un texte proposé par les élus du groupe GDR (communistes et Front de gauche). Il proposait de prévoit qu’en cas de transmission d’une entreprise, le propriétaire communique aux salariés le prix et les conditions de vente et leur donne accès aux documents comptables, afin de leur permettre de formuler une offre concurrente. Cela avait pour but principal de prévenir les trop nombreuses fermetures faute de repreneurs, et aussi de donner une chance aux salariés face à des repreneurs peu scrupuleux, dont l’unique but est de dépecer une entreprise et n’en conserver que le carnet d’adresses afin de conforter leur propre activité. L’objectif est donc bien de sauver les entreprises et les emplois qui vont avec. Je regrette que cette proposition de loi n’ai pas été adoptée, et j’espère que le mécanisme moins ambitieux prévu dans la loi Hamon ne sera pas détricoté dans la loi Macron.
Compte-rendu de cette intervention
M. Paul Molac. Selon Les Carnets de BPCE L’Observatoire, 15 000 à 20 000 entreprises sont vendues ou fermées chaque année en France, ce qui concerne 1,3 million de salariés. Parmi elles, 2 950 entreprises saines doivent fermer faute de repreneur. Ce sont autant de savoir-faire, de compétences et de cotisations qui sont perdus.
Il convient donc de prévoir un mécanisme qui puisse prévenir ces trop nombreuses fermetures faute de repreneurs, et aussi de donner une chance aux salariés face à des repreneurs peu scrupuleux, dont l’unique but est de dépecer une entreprise et n’en conserver que le carnet d’adresses afin de conforter leur propre activité.
Pour les salariés qui voient leur entreprise débitée petit à petit, l’angoisse est grande : c’est d’abord la comptabilité qui s’en va, suivie par le service des achats, puis celui des ventes ; pour finir, la production est totalement délocalisée. Pour les élus, il n’est rien de moins inquiétant que de voir les fleurons de leur territoire disparaître, rachetés par des fonds de pension dont ils subodorent que leur intérêt principal n’est pas la production industrielle. Ces industries font la vitalité de nos territoires, notamment ruraux.
M. Gaby Charroux. Bien sûr !
M. Paul Molac. Songez que dans ma circonscription, 20 % des emplois sont industriels. C’est énorme !
Visant notamment à sauvegarder l’emploi, cette proposition de loi prévoit qu’en cas de transmission d’une entreprise, le propriétaire communique aux salariés le prix et les conditions de vente et leur donne accès aux documents comptables, afin de leur permettre de formuler une offre concurrente. L’offre des salariés doit être formulée dans un délai de deux mois et elle est prioritaire. Toute cession intervenue sans respecter ces dispositions pourrait être annulée à la demande des salariés.
Les salariés disposeraient ainsi d’un véritable droit de préemption. Celui-ci se fonde sur le Préambule de la Constitution de 1946, qui énonce dans ses principes « le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi » et le droit de participer « à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Il se fonde également sur les droits de préemption existants, celui qui protège par exemple le locataire d’un logement en cas de vente par son propriétaire, en lui permettant de se porter acquéreur du logement, ou qui protège l’agriculteur, puisque le propriétaire de la terre qu’il loue ne peut la récupérer que dans le seul but de l’exploiter, lui ou ses enfants.
C’est ce dernier droit – et c’est un ancien agriculteur qui vous parle – qui a permis au secteur agroalimentaire de se développer considérablement, notamment en Bretagne, dans les années 1960 et 1970. C’est du reste un ancien ministre socialiste, François Tanguy-Prigent, qui a modifié juste après la guerre le statut du fermage, qui tenait jusqu’alors le paysan sous la coupe de son propriétaire : le bail ne durait qu’un an, puisque le fermier pouvait être chassé de la terre qu’il cultivait toutes les Saint-Michel, en septembre ! Il est remarquable que, loin d’avoir affaibli l’activité économique, ce nouveau droit l’ait au contraire renforcée en Bretagne.
Jusqu’à maintenant donc, la législation ne protégeait pas le salarié en cas de vente de son entreprise. En l’absence de droit de préemption, la possibilité de reprise dépend de la simple volonté du chef d’entreprise. Le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, dans sa forme initiale, envisageait le droit de préemption et le groupe écologiste avait déposé un amendement allant dans ce sens. La disposition a finalement été retirée au bénéfice d’un simple devoir d’information des salariés sur les possibilités de reprise au moment de la cession de l’entreprise, pour les entreprises de moins de 250 salariés, et ce deux mois au plus tard avant la cession. La possibilité leur est ainsi donnée de formuler une proposition, sans que celle-ci soit prioritaire. Les décrets d’application marquant l’entrée en vigueur de cette mesure ont été publiés en novembre 2014.
Face à la mobilisation de certains chefs d’entreprise et notamment de la CGPME, le Gouvernement a chargé le 21 janvier la députée Fanny Dombre Coste d’une mission parlementaire pour évaluer l’application de cette mesure. Celle-ci a rendu ses conclusions le 18 mars. Le rapport suggère trois pistes pour assouplir cette obligation : d’abord, en cas de non-information des salariés, une simple contravention – vraisemblablement un pourcentage du prix de vente – en lieu et place de l’annulation de la vente ; ensuite, un allégement de l’obligation de s’assurer que chaque salarié a bien été mis au courant, la date de première présentation de la lettre recommandée faisant foi ; enfin, l’application du dispositif aux ventes d’entreprises stricto sensu, et non plus aux cessions partielles ou intragroupe.
Le Gouvernement a fait savoir qu’il envisageait de reprendre ces préconisations par voie d’amendements, dans le cadre de la navette parlementaire du projet de loi Macron. Mais, en examinant ce même projet, le Sénat a modifié mardi le dispositif Hamon en limitant l’information des salariés aux seuls cas de cessation d’activité sans repreneur. Benoît Hamon, de son côté, continue de défendre son texte, à juste titre ; il a fait remarquer que tous les garde-fous avaient été mis dans la loi pour que le secret des transactions soit préservé et que l’on ne fragilise pas les cessions.
Pour notre part, nous considérons que le texte de Benoît Hamon est un minimum. Il faut non seulement préserver le droit qu’il instaure, mais le renforcer afin qu’il devienne un droit de préemption à part entière. C’est ni plus ni moins l’objectif de la présente proposition de loi.
L’article 1er propose de créer pour les entreprises de moins de 250 salariés un droit de préemption des salariés lorsque le propriétaire de plus de 50 % des parts sociales d’une SARL, ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société anonyme, ou encore du fonds de commerce veut vendre.
L’article 2 autorise le conseil syndical à recourir à un expert-comptable en cas d’offre de reprise de l’entreprise à laquelle il appartient et octroie un nouveau droit : « l’heure syndicale ». Cette heure mensuelle d’information syndicale, à destination du personnel, à l’instar de ce qui existe dans la fonction publique, permettrait aux représentants syndicaux de se réunir avec les salariés de l’entreprise sur le temps de travail.
Notre groupe parlementaire salue la volonté de création de ce nouveau droit à destination des salariés, qui viendrait utilement consolider la procédure d’information afin d’accroître les chances de reprise par les salariés. Il aurait eu toute sa place dans la loi Hamon.
Un bref débat est par ailleurs né en commission quant au délai pendant lequel le droit de préemption s’applique. Le délai de deux mois actuellement prévu est en effet trop court pour que les salariés intéressés par une reprise puissent suffisamment s’organiser. La rapporteure nous proposera par amendement de le faire passer à quatre mois, ce qui nous semble judicieux au regard du temps d’information et de formation nécessaire pour une reprise réussie.
Si cette proposition de loi est adoptée, elle permettra de répondre aux besoins des territoires pour maintenir l’emploi, souvent non délocalisable et source d’innovation, car ce dispositif concernerait de nombreuses start-up et PME innovantes. Elle serait également une garantie contre les cessions spéculatives et permettrait de travailler autrement, de produire social, pérenne et écologique, et également d’affecter une partie de l’épargne salariale à la reprise d’entreprise par les salariés. En somme, elle permettrait aux salariés de mieux maîtriser leur avenir professionnel à chaque cession d’entreprise, source d’angoisses et parfois de drames sociaux.
Enfin, l’adoption d’un véritable droit de préemption aurait également pour vertu de développer la propriété collective de l’entreprise, surtout sous forme coopérative. Aujourd’hui, nous estimons que, sur les 160 000 coopératives de l’Union européenne, seules 21 000 sont françaises, ce qui représente tout de même 308 000 salariés. Il faut pouvoir encourager ce type d’entreprises, les SCOP, en particulier sur le modèle de la société Mondragon du Pays basque espagnol, véritable modèle unique au monde de coopératives intégrées. Mondragon jouit en effet d’une large reconnaissance internationale et est fréquemment citée comme exemple, prouvant la possibilité d’asseoir une mondialisation industrielle sur un réseau coopératif unifié et diversifié. Le complexe Mondragon regroupe plus de 116 structures. Deux tiers de ses 32 000 associés travaillent dans le Pays basque espagnol, qui affiche un taux de chômage de l’ordre de 3 %.
Les crises financières, économiques et sociales à répétition renforcent les aspirations à plus de démocratie. La reprise d’entreprises par les salariés en coopératives est donc appelée à se développer. Mieux : bien loin de jouer contre les chefs d’entreprise, il est primordial de maintenir l’emploi et l’activité dans les territoires en préservant les entreprises elles-mêmes d’une disparition pure et simple. C’est pourquoi nous estimons qu’il convient de renforcer le droit de préemption des salariés, et voterons cette proposition de loi.