On ne peut pas se tromper. Cravate floquée de l’hermine blanche, même insigne au revers de la veste et Gwenn ha Du – le célèbre drapeau noir et blanc – collé sur la coque du smartphone : Paul Molac est breton, de la tête aux pieds. Fervent régionaliste, le député du Morbihan va monter au front lors du débat sur le projet de loi constitutionnelle. Tant pis pour les consignes martelées par les piliers de La République en marche qui invitaient les députés de la majorité à modérer leur créativité. Il a déposé 50 amendements, «personne n’est parfait !»
Son ambition : faire une place, dans la Constitution, pour la reconnaissance des «communautés historiques et culturelles» qui composent, à ses yeux, «les divers peuples de France». Pas une mince affaire… Pour cela, il faudrait retoucher l’article premier, qui proclame la République «indivisible», et l’article 2 qui affirme que «la langue de la République est le français» (pour y mentionner les langues régionales). Soit le nec plus ultra de la loi fondamentale, le socle où chaque mot est pesé et soupesé. Autant dire, un cadenas fermé à double tour.
«La minorité bretonne»
De quoi faire pester Paul Molac, pour qui «il y a un fantasme et un aspect quasi mystique dans cette idée d’un peuple français où l’on serait tous pareil». Ultrasincère, il a aussi un côté un brin provoc, guettant, sourire en coin, les réactions courroucées de ses collègues députés. Comme lorsqu’il lance, en commission des lois lors du débat sur la révision constitutionnelle : «Moi, j’appartiens à une minorité, la minorité bretonne !» Dans le même genre qui-n’y-va-pas-avec-le-dos-de-la-cuillère : «En tant que breton, j’ai dû lutter, simplement pour que mes enfants aient le droit d’apprendre ma langue à l’école.»
Les langues régionales, c’est la grande cause de ce trilingue français-breton-gallo (qui traduit son site web dans les trois langues) et préside un groupe d’étude sur le sujet à l’Assemblée. De l’affaire du tilde sur le prénom Fañch banni par l’état civil (au nom du respect de la langue française) aux lycéens de l’école diwan qui ont tenu à passer les maths au bac en breton : il est de tous les combats. Et pas seulement depuis que ce proche de l’Union démocratique bretonne (UDB) a été élu député en 2012, à l’époque avec le soutien d’Europe Ecologie-les Verts.
Classe bilingue et fest-noz
Ce fils d’agriculteurs de Ploërmel (Morbihan), agriculteur lui-même avant de devenir prof d’histoire, a appris le breton en cours du soir, à l’âge de 20 ans. Toujours à Ploërmel, il a fondé, avec d’autres parents, une classe bilingue, après avoir occupé l’inspection académique qui traînait des pieds. Quatre de ses sept enfants sont passés sur ces bancs. Et Molac continue parfois de chanter dans les fest-noz avec son groupe Ferzae («chouette effraie» en gallo).
Pour lui, ses racines sont «une évidence qui transparaît partout, mais que l’on me demande de taire». «Aujourd’hui veut-on poursuivre une histoire conflictuelle ou faire la paix ? L’Etat est apaisé, il n’a plus besoin de retirer à un peuple sa conscience d’être un peuple», attaque-t-il. Mais cette bataille juridique, un tantinet absconse pour le grand public, est-il sûr qu’elle rejoigne les préoccupations des intéressés ? «Ce n’est peut-être pas un combat ultrapopulaire en Bretagne mais les Bretons ne comprennent pas qu’on en soit encore là, pour des choses qui leur paraissent, à eux, si évidentes.» Sur tous les bancs, Molac a pu trouver des alliés. Des Basques, des Alsaciens, des Ultramarins, les trois nationalistes corses. «Paul ? C’est un affinitaire», sourit Jean-Félix Acquaviva. Ils travaillent ensemble et échangent leurs amendements.
Reste qu’au sein de sa majorité, sa position est très minoritaire. Le député morbihannais, élu dès le premier tour en 2017 avec l’investiture LREM, déplore un groupe «trop marqué par le centralisme» et un «modèle bonapartiste dont on ne sort pas». Et ce malgré quelques avancées, dans le texte constitutionnel sur le droit à la différenciation territoriale. «L’enjeu n’est pas de partir dans une reconnaissance hypothétique des peuples de France qui viendrait fragiliser notre édifice républicain», l’a prévenu Richard Ferrand, rapporteur général. Molac reconnaît au patron du groupe LREM, lui-même élu du Finistère, une «sensibilité» sur le sujet des territoires : «Ferrand évitera que des bêtises soient dites mais il est en service commandé», regrette-t-il. En un an, l’écolo-régionaliste est de toute façon un peu revenu du macronisme. Sceptique sur les méthodes du «nouveau monde», il n’a pas voté certains projets de loi importants, comme le texte antiterrorisme ou celui sur l’asile et l’immigration. Sur le projet de loi constitutionnelle, il n’est pas non plus sûr d’accorder sa voix.