Discours sur la déontologie, les droits et obligations des fonctionnaires

 

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À l’heure d’examiner enfin ce projet de loi dans l’hémicycle, on ne pourra sûrement pas lui opposer la maxime « Qui trop se hâte, se perd en chemin » ! Comme il a été rappelé, il a été déposé sur le bureau de notre assemblée en juillet 2013, et il est heureux qu’il ne se soit effectivement pas perdu dans les limbes de l’Assemblée nationale ou du Gouvernement. Il a été déposé à nouveau cet été, et l’urgence a été déclarée. Je regrette que, sur un texte relativement court, après une telle attente, nous n’ayons eu que trois jours pour déposer des amendements.

Ce texte était initialement présenté comme le pendant du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique. Il serait néanmoins réducteur de ne le considérer que comme tel, tant certaines de ses dispositions vont au-delà de la déontologie des fonctionnaires.

Alors qu’à intervalles réguliers, le statut des fonctionnaires est remis en cause par des déclarations à l’emporte-pièce, sans fondement et, bien souvent, d’une mauvaise foi confondante, il nous incombe de souligner l’importance de leur rôle dans le maintien d’un service public de qualité. Un paradoxe de notre époque voit l’opprobre jeté sur celles et ceux dont on voudrait que le rôle ne se délite pas, notamment en milieu rural, où le sentiment d’abandon du service public s’exprime le plus : écoles, gendarmeries, hôpitaux ou administrations. D’ailleurs, pour faire écho aux questions d’actualité de cet après-midi, je note que l’on ne peut pas reprocher au Gouvernement de faire des économies sur ces postes-là.

Nous estimons donc que ce projet de loi va globalement dans le bon sens. En plus des efforts de déontologie auxquels devront s’astreindre de nombreux fonctionnaires, il propose diverses mesures pour améliorer leur statut, clarifier leurs obligations et favoriser leur titularisation, dans le prolongement de la loi Sauvadet. Il étend également la protection fonctionnelle à tous les agents faisant l’objet de condamnations civiles ou de poursuites pénales en relation avec l’exercice de leurs fonctions, ainsi qu’à leurs familles.

De grands principes censés régir le statut des fonctionnaires sont également consacrés dans la loi. Ainsi, le principe de laïcité qui s’applique aux fonctionnaires est affirmé, de même que l’objectif de lutte contre les conflits d’intérêts. Toutes ces mesures sont les bienvenues.

Nous aborderons quant à nous l’examen de ce projet de loi par trois biais principaux : la question des lanceurs d’alertes, celle des conflits d’intérêts et de la déontologie et celle du statut des fonctionnaires et des procédures disciplinaires.

S’agissant des lanceurs d’alerte, notre position sera sans doute différente de celle de la majorité des groupes et du Gouvernement. Cette question préoccupe plusieurs de mes collègues, comme Jean-Louis Roumegas pour ce qui est du domaine de la santé et de l’environnement ou Éric Alauzet pour les questions de fraude fiscale.

Ce projet de loi crée un statut de lanceur d’alerte pour les fonctionnaires qui auraient connaissance d’un conflit d’intérêts. Il existe plusieurs statuts de lanceur d’alerte, ce qui paraît logique : alerter de l’existence d’un risque environnemental n’est pas la même chose qu’avoir connaissance d’une infraction pénale. Toutefois, les différences entre ces statuts devraient être clarifiées. Il est nécessaire d’apporter plus de cohérence, car une véritable insécurité juridique est créée. C’est ce que nous avons proposé en commission et proposerons de nouveau en séance. Nous craignons fort de ne pas être entendus sur ce point qui est pourtant crucial.

Concernant ce nouveau statut de lanceur d’alerte, nous avons hésité à déposer un amendement de suppression de l’article 3, tant il concentre tout ce qui ne faut pas faire en la matière. De nombreuses incohérences existent dans le texte. Rien n’est en effet prévu pour protéger la révélation de faits à la commission de déontologie de la fonction publique, qui, contrairement à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ne peut être considérée comme une autorité administrative. De même, rien ne permet la révélation de l’alerte à une association agrée de lutte contre la corruption, comme le prévoit l’article 25 de la loi sur la transparence de la vie publique.

Par ailleurs, rien ne justifie qu’un fonctionnaire puisse être sanctionné pour avoir témoigné, de bonne foi, de faits susceptibles d’être qualifiés de conflits d’intérêts, sous prétexte qu’il aurait appris ces faits en dehors de l’exercice de ses fonctions. Cette précision affaiblit grandement l’intérêt de ce nouveau statut, car elle ne prend pas en compte l’idée que la révélation d’un conflit d’intérêts n’est pas toujours faite dans l’exercice des fonctions.

Un autre exemple des manquements de ce projet de loi à la protection des lanceurs d’alerte consiste en la limitation de la protection aux seuls cas où le fonctionnaire aurait alerté d’abord en vain sa hiérarchie. Il s’agit, à notre sens, d’une limitation grave à l’article 40 du code de procédure pénale. Sous prétexte de protéger des lanceurs d’alerte, on permet au contraire d’enterrer des affaires. Cette obligation d’alerter en premier lieu le supérieur hiérarchique est d’ailleurs absente de la plupart des statuts de lanceurs d’alerte prévus dans la loi Le Pors de 1983.

Enfin, il est à notre sens contre-productif de créer un nouveau délit qui constituera une exception au délit de dénonciation calomnieuse. Contrairement à ce dernier, le délit introduit par l’article 3 prend en compte des éléments, comme la mauvaise foi ou l’intention de nuire, qui sont contestables et difficilement prouvables. Seule la connaissance de l’inexactitude totale ou partielle des faits doit être l’élément à l’origine de la poursuite de la dénonciation calomnieuse.

Notre deuxième point d’intérêt concerne la question du meilleur partage des tâches entre la commission de déontologie et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Certains fonctionnaires devront envoyer une déclaration d’intérêts à l’une et une déclaration de patrimoine à l’autre, ce qui nous semble assez incohérent. Plusieurs amendements ont été adoptés à l’initiative de notre rapporteure sur le sujet. Nous devons toutefois aller plus loin dans la coopération entre ces deux institutions.

Ainsi, nous proposerons qu’à la déclaration de situation patrimoniale soit systématiquement jointe la déclaration d’intérêts, indispensable pour juger de la pertinence de l’évolution du patrimoine. Il ne s’agit pas de faire de la Haute Autorité l’autorité compétente en matière de déontologie des fonctionnaires, mais de lui donner les éléments indispensables pour juger de la pertinence d’une déclaration de situation patrimoniale.

Troisième point, enfin : le statut général des fonctionnaires et les procédures disciplinaires. En liaison avec les syndicats, nous vous proposerons des amendements portant sur la gestion des conflits disciplinaires, dont l’un notamment vise à créer un droit à l’expression directe et collective, facteur très efficace de prévention de la souffrance au travail et d’amélioration de ses conditions.

Nous défendrons par ailleurs une solution visant à permettre le don de congés payés aux salariés et aux fonctionnaires dont le conjoint serait gravement malade. En effet, si la loi du 9 mai 2014 permet le don de jours de repos au parent d’un enfant gravement malade, cette disposition n’est applicable que pour un enfant de moins de vingt ans. Des cas de fonctionnaires dont le conjoint serait gravement malade ont été rapportés, auxquels la loi n’apporte pour l’instant pas de réponse.

Telles sont les raisons qui nous poussent à voir dans ce projet de loi un certain nombre d’avancées pour le statut des fonctionnaires, non négligeables et qu’il serait dommage de ne pas acter. Néanmoins, nous demeurons inquiets sur d’autres points, et plus particulièrement sur le sujet des lanceurs d’alerte qui nous tient très à cœur. C’est donc à l’aune des discussions et des ouvertures obtenues en séance que nous saurons si le verre est à moitié vide ou à moitié plein.

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