Discours sur la loi NOTRe en lecture définitive
Je suis intervenu dans l’hémicycle pour la deuxième fois le jeudi 16 juillet à propos de la loi sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République, loi NOTRe.
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Ce texte manque d’ambition et fait la part trop belle aux métropoles. Il présente tout de même un souci de clarification des compétences ainsi que de délégation de certaines compétences aux régions. Mais les régions restent très dépendantes du gouvernement et du pouvoir central pour la politique d’adaptations réglementaires, et dépendantes des métropoles dans certains cas. Ce projet de loi ne permettra pas d’avancer suffisamment vers la véritable régionalisation que nous appelons de nos vœux, il faudra continuer à légiférer pour orienter plus largement notre organisation territoriale vers le régionalisme et le fédéralisme.
M. Paul Molac. Monsieur le Président, madame la Ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le Rapporteur, mes chers Collègues, nous abordons aujourd’hui la lecture probablement définitive du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. Ce texte a pour objectif de repenser et d’éclaircir le partage des compétences entre les différentes collectivités territoriales. L’idée directrice était de donner davantage de pouvoir aux régions.
À l’heure du bilan, force est de constater que cet objectif primordial d’avoir des régions fortes, légitimes et capables de promouvoir à la fois le développement économique et la justice territoriale s’est étiolé petit à petit au cours de l’étude des différents textes, et la dernière commission mixte paritaire a encore un peu plus édulcoré la volonté régionaliste de la loi. Premier regret, donc : les différentes lectures ont eu raison de la volonté de donner une partie du pouvoir réglementaire aux régions.
Je rends ici hommage à l’habileté, au sens du devoir, à l’amabilité et à la compétence de notre rapporteur – pas seulement sur ce sujet, du reste ! Il a bien essayé de nous expliquer que les collectivités avaient déjà, inscrit dans la Constitution même, le pouvoir réglementaire dans les compétences qui sont les leurs. Vous conviendrez que, si la possibilité existe, la procédure, qui est complexe, rend cette faculté quelque peu hypothétique.
J’en veux pour preuve la petite modification sur les aires marines protégées proposée par la Corse. Elle a finalement été retirée devant une campagne médiatique injustifiée à mes yeux. Quand on sait qu’elle ne concernait que les aires marines protégées gérées par des collectivités locales et que celles-ci sont au nombre de trois en France métropolitaine, Corse comprise, il apparaît que nous aurions tout intérêt à donner à la Corse la possibilité de faire des lois de pays comme en Nouvelle-Calédonie. Le constat est accablant : la Corse, je le rappelle, a vu ses quarante-huit demandes d’adaptation locale se solder par deux refus réels et quarante-six absences de réponse de la part du Gouvernement. Certes, c’était un autre gouvernement !
Deuxième regret : l’abandon de l’idée du suffrage universel pour les intercommunalités. C’est à notre avis une erreur. Les intercommunalités sont les collectivités qui gèrent de plus en plus l’argent public dans le but de fournir des services à la population. Il paraît normal qu’au moins une partie des élus soit élue au suffrage universel avec un projet qui soit à l’échelle de l’intercommunalité. Nous y reviendrons certainement dans les années à venir.
Troisième regret : nous faisons la part trop belle aux métropoles en leur laissant la possibilité d’élaborer un schéma économique qui ne fait que prendre en compte le schéma prétendument prescriptif de la région. Force est de constater que ce schéma économique n’est pas prescriptif, au moins pour les métropoles. Je pense que c’est également une erreur et qu’il faudra y revenir. Les inimitiés tenaces entre certains dirigeants de métropole et de région, même quand ils sont du même parti, auraient dû nous inciter à la prudence. Cette prudence aurait été, à mon sens, d’imposer la compatibilité des deux schémas et d’obliger certains frères ennemis à s’entendre.
N’oublions pas que les régions sont aussi chargées de l’aménagement du territoire et que leur revient la lourde charge de réguler, de répartir les activités et les moyens de communication sur le territoire pour un aménagement équilibré. Comment pourront-elles le faire si les métropoles élaborent leur propre schéma ? Cela risque d’être préjudiciable à l’activité économique de régions entières.
Nous avons tout de même eu un lot de consolation avec l’amendement défendu par notre collègue Alain Rousset, qui permet aux régions d’investir dans l’immobilier d’entreprise. Cette possibilité est en effet importante, en particulier pour les territoires les plus ruraux.
Je regrette que, globalement, nous tournions le dos au modèle allemand, redistributeur, irriguant l’ensemble des territoires. En somme, nous tournons le dos au modèle fédéral, ce qui, vous en conviendrez, est bien dommage !
De cette façon, l’État qui sait si bien diviser reste un arbitre. Quand sortirons-nous de cette bonne vieille tradition ? Même si comparaison n’est pas raison, je fais souvent un parallèle avec le Royaume-Uni. Ce pays est devenu un État fédéral en 1999. Sachant qu’il a institué le droit de vote des femmes environ vingt-cinq ans avant nous, je pense que la France deviendra un État fédéral en 2025 ou 2030. Vous le voyez, je vis d’espoir !
M. Marc Dolez. Quel cauchemar !
M. Paul Molac. J’avoue que le centralisme démocratique n’est pas ma tasse de thé, mon cher collègue !
M. Marc Dolez. Ce n’est pas ce que j’évoquais !
M. Paul Molac. Ce texte manque donc d’ambition et fait la part trop belle aux métropoles. Il présente tout de même un souci de clarification des compétences ainsi que de délégation de certaines compétences aux régions.
Sous la réserve que j’ai déjà indiquée, la région est affirmée dans son rôle économique. On peut aussi faire le parallèle avec la gestion des fonds européens, ce qui me semble complémentaire. Le département, lui, perd cette compétence. Les régions ont pu obtenir la compétence exclusive couvrant la totalité des interventions économiques. Ainsi, au lieu de se limiter à l’aide directe aux entreprises, elles concerneront le fonctionnement des agences de développement, les clusters, etc. C’est un signal très positif apporté aux régions. Je forme le souhait que le Gouvernement tienne bien sa parole de transférer 50 % de la CVAE – cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – aux régions.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation de de la Fonction publique. Oui !
M. Paul Molac. Il faudra y veiller dans le prochain projet de loi de finances. La compétence économique va de pair avec cet impôt économique.
On peut constater d’autres transferts de compétence des départements aux régions, notamment la gestion des transports non urbains et scolaires, des aérodromes ou encore des ports.
M. Dominique Bussereau. Scandaleux !
M. Paul Molac. La région conforte son rôle dans les transports, ce qui est bien normal puisqu’elle qui est chargée de l’intermodalité.
Concernant la compétence des régions dans le domaine éducatif et de la formation, le projet prévoit désormais la création de schémas régionaux d’enseignement supérieur. Le Gouvernement lui-même a fait adopter un amendement laissant aux régions un rôle dans la fixation des districts scolaires. On peut toutefois regretter le recul concernant les collèges.
Je note une autre avancée substantielle, obtenu par une coopération avec le groupe socialiste concernant les frais de scolarité entre communes dans le cas de classes bilingues français-langue régionale. La question empoisonnait les rapports entre mairies depuis dix ans. Cette modification permettra de débloquer de nombreuses situations locales. Merci à notre rapporteur et à Mme Appéré, que je n’oublie pas !
Mme Nathalie Appéré. Merci !
M. Paul Molac. Ensuite, la région sera l’autorité de coordination des acteurs du service public de l’emploi sur son territoire. On regrettera que sa compétence ne soit pas élargie au-delà de la simple coordination et que Pôle Emploi ne soit toujours pas inclus dans son champ de compétences.
Cependant, nous sommes parfois obligés de ne pas choisir et la rationalisation devient complexe. L’exemple du tourisme est révélateur : cette compétence est en effet partagée entre la région et le département dans le cadre de l’élaboration conjointe d’un schéma de développement touristique.
Le renforcement de la démocratie locale constituait l’un de nos objectifs au début de l’examen de ce texte. Si l’on excepte la question épineuse du suffrage universel dans les intercommunalités, nous avons de manière générale obtenu des avancées plutôt satisfaisantes s’agissant de la transparence et de la prise en compte des groupes d’opposition ou minoritaires au sein des conseils régionaux. Nous sommes satisfaits de la transparence que prévoit ce projet de loi vis-à-vis des collectivités locales, notamment depuis l’adoption de notre amendement sur l’open data et, plus largement, depuis l’adoption d’amendements concernant les pouvoirs des conseillers municipaux et la transparence dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants. Nous sommes également satisfaits du renforcement des prérogatives des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, qui furent un temps menacées.
Concernant les politiques d’environnement et de développement durable, que nous tenions à soutenir dans ce projet, des avancées encourageantes sont perceptibles. Le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires constitue un élément important de l’articulation de ces politiques. Il s’agira d’un schéma prescriptif comprenant le schéma régional climat-air-énergie, un schéma de l’intermodalité, le schéma régional de cohérence écologique et un plan régional de prévention des déchets, qui est prescriptif pour les documents d’urbanisme élaborés par les communes et par les EPCI.
En outre, la commission a ajouté au SRADDET l’objectif de la promotion de la biodiversité, et elle a rétabli notre amendement visant à donner aux régions la compétence « action contre les eaux polluées ».
Ce projet de loi renforce donc le poids des régions et clarifie le partage des compétences entre les différentes collectivités territoriales. On peut cependant regretter qu’il n’aille pas assez loin. Pourquoi ne pas avoir cherché à supprimer les départements chaque fois que cela était possible,…
M. Dominique Bussereau. Tiens donc !
M. Paul Molac. …par exemple en Bretagne ? Mon amendement en faveur d’une collectivité unique a hélas été refusé.
Pour conclure, je regrette que ce texte, qui prévoyait de donner davantage de pouvoirs aux régions et de les faire passer à la maturité, perde finalement de sa force. En effet, les régions restent très dépendantes du gouvernement et du pouvoir central pour la politique d’adaptations réglementaires, et dépendantes des métropoles dans certains cas. S’il va timidement dans le bon sens, j’ai bien peur que ce projet de loi ne permette pas d’avancer suffisamment vers la véritable régionalisation que nous appelons de nos vœux, et qu’il faille au cours des prochaines années continuer à légiférer, alors que nous avions là une occasion importante d’orienter plus largement notre organisation territoriale vers le régionalisme et le fédéralisme.