Discours sur le projet de loi de nouvelle organisation territoriale de la République

Le lundi 29 juin je suis intervenu en séance pour m’exprimer en 2è lecture sur le Projet de loi de Nouvelle Organisation Territoriale de la République, un texte qui s’avère beaucoup trop timide pour réformer en profondeur le millefeuille territorial français. Vous y trouverez toutes les raisons dans la vidéo et le compte-rendu retranscrit ci-dessous.


M. Paul Molac.
Madame la Ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le Rapporteur, mes chers Collègues, nous abordons aujourd’hui l’examen en deuxième lecture du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République. L’idée directrice en était de donner davantage de pouvoir aux régions.

Force est de constater que cet objectif primordial d’avoir des régions fortes, légitimes et capables de promouvoir à la fois le développement économique et la justice territoriale, s’est étiolé au fil de l’examen des différents textes portant sur les compétences des collectivités locales. Le péché originel de ceux-ci est, à mon sens, que l’on est parti sur de mauvaises bases et que l’on a, finalement, commencé à l’envers.

De mauvaises bases, car nous avons commencé par les métropoles, alors que leur rôle est aujourd’hui remis en cause par de nombreux géographes aménageurs qui montrent que les calculs des « métropolistes » ont été biaisés.

Je ne crois pas au rôle d’entraînement et de dynamisation attribué aux métropoles. D’ailleurs, avaient-elles vraiment besoin de s’affirmer, elles qui concentrent déjà population, potentiel fiscal élevé et dont les dotations d’État par habitant sont les plus élevées ?

Non, les métropoles ne sont pas l’horizon indépassable du développement, bien au contraire. Une partie de leur valeur ajoutée provient des sièges sociaux et y est rapatriée artificiellement alors que la production, elle, a lieu dans les espaces ruraux dynamiques. Si cette dynamique s’épuise, c’est non seulement l’emploi en milieu rural qui est frappé, mais aussi la capacité des métropoles à capter cette plus-value.

Une telle vision n’est que le recyclage de la bonne vieille tradition centralisatrice du modèle pyramidal napoléonien adapté à l’aménagement du territoire ; d’une théorie repeinte de la couleur de l’intérêt général qui n’est que l’intérêt particulier bien compris des grandes agglomérations. Je regrette que par ces lois nous tournions le dos au modèle allemand, redistributeur, irriguant l’ensemble du territoire, en somme, fédéral et fédérant.

Mais revenons au texte qui nous occupe. Il vise à clarifier les compétences ainsi que la délégation de certaines compétences aux régions. Les réserves demeurent cependant nombreuses quant à cette clarification.

Plusieurs compétences sont transférées des départements aux régions, comme la gestion des transports non urbains, des aérodromes ou encore des ports. On peut se demander pourquoi tous les transports ne sont pas concernés puisque la région est en charge du ferroviaire et du transport intermodal. Les routes auraient pu faire partie du « paquet » transféré, mais cela aurait supposé de faire migrer certains impôts, puisqu’il aurait bien fallu assumer le coût de leur prise en charge. C’eût été une difficulté supplémentaire.

Pour ce qui est de la compétence des régions dans le domaine éducatif et de la formation, le projet prévoit désormais la mise en place de schémas régionaux de l’enseignement supérieur. Le Gouvernement lui-même a d’ailleurs fait adopter un amendement laissant aux régions un rôle dans la fixation des districts scolaires. On peut toutefois regretter – et cela a été rappelé – le recul concernant les collèges. Une complémentarité de gestion avec les lycées aurait pu être utile, surtout dans les cités scolaires.

Je note néanmoins une avancée substantielle obtenue par notre rapporteur, en lien avec le groupe socialiste, concernant les frais de scolarité entre communes dans le cas de classes bilingues français-langue régionale, sujet qui empoisonnait les rapports entre communes depuis dix ans. Cette modification permettra de débloquer de nombreuses situations sur le plan local.

Pour ce qui est du service public de l’emploi, la région sera l’autorité de coordination de ses différents acteurs sur son territoire. On regrettera que sa compétence ne soit pas élargie au-delà de la simple coordination et que Pôle Emploi ne soit toujours pas inclus dans son champ de compétences.

Cependant, nous sommes parfois obligés de ne pas choisir et la rationalisation devient complexe. L’exemple du tourisme en est l’illustration. Sa compétence se voit en effet partagée entre la région et le département qui élaboreront conjointement un schéma de développement touristique.

Le renforcement de la démocratie locale constituait l’un de nos objectifs au début de l’examen de ce texte. En effet, le pouvoir croissant des collectivités locales, en particulier des intercommunalités, ne doit pas faire perdre de vue l’exigence démocratique. Il nous faut adapter et élargir notre pratique de la démocratie. De manière générale, nous avons obtenu des avancées plutôt satisfaisantes sur cette question.

Ainsi, notre amendement contribuant à une meilleure reconnaissance des groupes d’opposition ou minoritaires au sein des conseils régionaux a-t-il été adopté, de même que celui renforçant les prérogatives des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux – les CESER. Nous sommes aussi satisfaits de l’adoption de notre amendement relatif à l’open data dans les collectivités locales, de nature à y renforcer la transparence, et, plus largement, de l’adoption d’amendements sur les pouvoirs des conseillers municipaux et la transparence dans les communes de 1 000 à 3 500 habitants.

Nous regrettons tout de même que cette exigence de démocratie n’ait pas été poussée jusqu’au bout avec l’adoption du suffrage universel direct, ou tout au moins d’une part de suffrage universel direct pour les intercommunalités. Certes, le problème est complexe notamment au regard de notre Constitution, mais cela nous semblait être un point important, d’autant qu’un grand nombre de projets d’investissements sont aujourd’hui conduits au niveau des intercommunalités.

S’agissant des politiques d’environnement et de développement durable, que nous tenions à soutenir dans ce texte, des avancées encourageantes sont perceptibles. Le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire – SRADDT – est un élément important pour l’articulation de ces politiques. Il s’agira d’un schéma prescriptif comprenant le schéma régional climat-air-énergie – SRCAE –, un schéma de l’intermodalité, le schéma régional de cohérence écologique et le plan régional de prévention et de gestion des déchets, prescriptif à l’égard des documents d’urbanisme élaborés par les communes ou les EPCI.

M. Michel Piron. N’en jetez plus !

M. Paul Molac. Nous nous félicitons également que l’objectif de préservation de la biodiversité ait été rajouté au SRADDT en commission et que notre amendement visant à donner aux régions la compétence « action contre les eaux polluées » y ait été rétabli.

À première vue donc, ce projet de loi renforce le poids des régions et clarifie le partage des compétences entre les différentes collectivités territoriales. Cependant, on peut regretter qu’il n’aille pas assez loin dans le pouvoir accordé aux régions et que certains de ses aspects pratiques entrent en contradiction avec la ligne directrice originelle.

Comme l’avait déjà souligné François de Rugy lors de la première lecture, ce n’est pas un projet de décentralisation. Le pouvoir d’adaptation réglementaire par exemple, qui semblait être une avancée notable pour nos régions, s’avère de plus en plus illusoire au fur et à mesure de la navette parlementaire. En effet, l’accord nécessaire du pouvoir législatif et réglementaire pour user de ce pouvoir d’adaptation atténue déjà la puissance d’agir des régions.

Outre cette difficulté, l’obligation de réponse à laquelle était soumis le Gouvernement a disparu du texte. Ainsi, le cas de la Corse, qui a vu ses quarante-huit demandes d’adaptation locale se solder par deux refus réels et quarante-six absences de réponse de la part du Gouvernement, ne restera pas, je le crains, un cas isolé.

Pour éviter ce genre de situation, l’obligation de réponse est indispensable. Pourtant, le Sénat l’a, à notre grand regret, supprimée. Globalement, je déplore que la procédure permettant une possibilité d’adaptation réglementaire soit remise en cause. Je considère, pour ma part, que ces possibilités devraient être intégrées directement dans les lois, la Constitution ne s’y opposant pas. Malheureusement, ce n’est pas encore avec ce texte que l’on y parviendra.

L’avancée la plus notable de ce texte me paraît donc être l’affirmation de la région dans le domaine économique avec la création du schéma régional de développement économique. Les régions ont pu obtenir compétence exclusive pour la totalité des interventions économiques. Ainsi, au lieu de se limiter à l’aide directe aux entreprises, elles interviendront en direction des agences de développement et des clusters. C’est un signal très positif qui leur est là adressé.

En revanche, on ne peut que s’inquiéter du pouvoir désormais accordé aux métropoles de s’exonérer des schémas régionaux. Celles-ci peuvent en effet refuser ces schémas et proposer les leurs. Il convient à mon sens d’aller au-delà de la simple « prise en compte » prévue par le projet de loi pour se rapprocher d’une recherche de « compatibilité » entre le schéma proposé par une métropole et celui de la région.

M. Michel Piron. Mais oui !

M. Paul Molac. De même, le pouvoir des préfets en matière d’approbation des schémas ne doit pas être trop large, au risque que des divergences politiques entre une région et un gouvernement puissent bloquer tout le processus.

Le pouvoir accordé aux régions dans ce texte ne peut être effectif s’il devient dépendant d’une autre strate du millefeuille territorial, en l’espèce des métropoles. Le pouvoir accordé aux métropoles constitue à mes yeux le problème majeur, et je crains que la cote n’ait été mal taillée.

Je ne vois pas comment le schéma économique d’une métropole et celui d’une région pourraient diverger. Cette situation pour le moins incongrue aboutirait à une guerre de clochers qui se solderait par moins de pouvoir économique et moins d’emplois, pénalisant ainsi les citoyens. Il convient donc de réfléchir à une meilleure articulation.

Pour conclure, je dirais qu’il est regrettable que ce texte, qui prévoyait de donner davantage de pouvoir aux régions et les faire passer à la maturité, ait finalement perdu de sa force. En effet, les régions restent dépendantes, à la fois du pouvoir central pour les politiques d’adaptation réglementaire et en partie des métropoles pour ce qui est du schéma économique.

S’il va timidement dans le bon sens, j’ai bien peur que ce texte ne permette pas d’avancer suffisamment vers la véritable régionalisation que nous appelons de nos vœux, et qu’il faille continuer à légiférer dans les prochaines années alors que nous avions ici une occasion d’avancer pour de bon.

M. Michel Piron. Il y avait des choses intéressantes dans cette intervention.