La proposition de loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs adoptée à l’unanimité en première lecture
En juin 2018, devant 700 élus et invités bretons réunis à Quimper, le Président de la République déclarait : « Nos agriculteurs veulent pouvoir vivre dignement du prix payé. » Sur ce point, nous sommes tout à fait d’accord. Il ajoutait que la future loi EGALIM, alors en discussion au Parlement, permettrait « de changer en profondeur la structure de notre agriculture et de la transformation ». Là, en revanche, nos avis divergent : cette loi n’est pas parvenue à modifier les rapports de forces.
Il faut bien constater que la loi EGALIM n’a pas rééquilibré le rapport de forces entre la grande distribution et les industries agroalimentaires et n’a donc pas accru le revenu de nos agriculteurs. Trois ans après son adoption, son échec est patent. Les résultats des négociations 2021 sont sans appel. Après huit ans de déflation, la destruction de la valeur se poursuit, avec une baisse de 0,3 % des prix à la production. Alors que la rémunération des agriculteurs est restée basse, on constate que les gains de productivité que l’agriculture a pu réaliser ont en fait été captés par d’autres – je pense bien sûr à la grande distribution.
Finalement, les prix agricoles ne cessent de baisser depuis les années soixante. Un indicateur le démontre : dans les années soixante, la part consacrée à l’alimentation s’établissait à un tiers des revenus, alors qu’on estime qu’elle n’est que de 11 % à 14 % aujourd’hui. Les prix agricoles ont donc particulièrement baissé, et je partage l’avis exprimé tout à l’heure par le ministre : il ne faut pas mener une politique sociale sur le dos des agriculteurs.
La loi n’a donc pas pu structurer le marché. Si une proposition de loi a forcément un champ d’action limité – cela a été rappelé –, celle-ci se propose tout de même de revoir quelques petites choses qui sont en réalité majeures. Je commencerai par émettre un regret : nous aurions aimé que les accords soient tripartites, car un certain nombre de transformateurs sont particulièrement inquiets : ils craignent d’être pris entre le marteau et l’enclume – les agriculteurs d’un côté, la grande distribution de l’autre – et de faire les frais d’une augmentation du prix payé aux agriculteurs. La sanctuarisation des coûts de production constitue certainement une avancée, mais je doute qu’elle soit suffisante, raison pour laquelle des accords tripartites auraient été préférables selon moi.
Quant à l’intégration des marques distributeurs que vous appelez de vos vœux, cher Thierry Benoît, elle me paraît évidente. La loi EGALIM ne touchait finalement jusqu’alors qu’un cinquième des revenus des agriculteurs ; ce n’est évidemment pas suffisant. En intégrant les marques distributeurs, on élargit son champ à un autre secteur, conformément au souhait exprimé par les agriculteurs au cours de nos différentes réunions. À terme, l’ensemble des marques devraient être concernées car le fait d’en laisser une partie de côté ne permet pas d’avoir une vision d’ensemble.
La question des organisations de producteurs me semble importante également. La société Lactalis, par exemple, négocie avec pas moins de dix-sept organisations de producteurs. Or s’ils conservent cette liberté d’organisation, je ne vois pas comment les agriculteurs pourraient avoir un quelconque poids face à une grande entreprise comme celle-ci. C’est un problème évident, même s’il ne relève pas du présent texte. Il n’y a guère que les adhérents des coopératives qui négocient avec une seule OP ; ce n’est pas le cas des entreprises privées.
J’ai ensuite quelques interrogations au sujet du comité de règlement des différends commerciaux agricoles. Comment fonctionnera-t-il ? Il me semble avoir lu qu’il aurait la possibilité d’imposer des pénalités : j’aimerais que l’on m’explique les conditions juridiques de leur mise en œuvre.
La question de la rémunération est incontournable, et la détresse des agriculteurs est grande. Or nous sommes face à un enjeu particulièrement important, celui du renouvellement des générations d’agriculteurs. La plupart d’entre eux sont relativement âgés, et l’on peine à leur trouver des successeurs, dans un contexte difficile de concentration des terres et de remise en cause du modèle de la ferme familiale.
Notre groupe participera bien sûr à la discussion et appuiera les propositions de Thierry Benoit, qui semblent aller dans le bon sens. Nous espérons qu’ensemble, nous trouverons un accord : l’amélioration de la rémunération des agriculteurs est une nécessité pour la vitalité de nos campagnes et pour ce métier – selon moi, l’un des plus beaux –, qui consiste tout simplement à nourrir les hommes et les femmes.