Mon avis sur la loi de réforme de la justice
Représentant mon groupe Libertés et Territoires lors de la séance de ce mardi 15 janvier 2019, je me suis prononcé contre la loi de réforme de la justice. Ci-dessous, le compte-rendu écrit de mon intervention.
Madame la garde des sceaux, à l’automne dernier, lorsque notre assemblée examinait ces textes en première lecture, Jean-Michel Clément vous avait fait part des inquiétudes du groupe Libertés et territoires face aux dispositions que vous nous proposiez d’adopter pour réformer notre justice.
Alors que nous commençons leur examen seconde lecture, permettez-moi de vous indiquer que ses craintes et les nôtres sont toujours aussi vives. Elles sont partagées par de nombreux professionnels de la justice, preuve que ce n’est pas le corporatisme qui les anime mais bien au contraire une même volonté de construire une justice accessible et respectueuse des droits et des libertés de nos compatriotes.
Ces craintes sont renforcées par les conditions chaotiques dans lesquelles la réforme a été examinée en première lecture. Nos débats nous ont démontré votre incapacité à évoluer vers d’autres propositions, des propositions de sagesse et de bon sens, des propositions faites pour une justice de proximité, efficace et digne d’une démocratie moderne.
Vous avez presque systématiquement rejeté les amendements des groupes minoritaires ou d’opposition de l’Assemblée nationale. Vous avez refusé d’écouter et d’entendre nos avertissements sur les conséquences de certaines de vos mesures et d’intégrer dans vos projets de loi les solutions que nous vous soumettions. Tant en commission qu’en séance publique, le groupe Libertés et territoires a travaillé de manière constructive, mais votre majorité n’a pas daigné prendre nos apports en considération.
Elle a également refusé d’entendre la mobilisation du monde judiciaire. C’est particulièrement regrettable à l’heure où nos concitoyens demandent aux élus mais aussi au Gouvernement d’être plus à l’écoute de leurs difficultés et de leurs attentes. Il ne peut y avoir, d’un côté, une posture d’écoute et, de l’autre, l’expression d’une intransigeance.
Madame la garde des sceaux, entendez tous ceux qui font le quotidien de notre justice. Entendez les magistrats, qui œuvrent dans des cours et tribunaux en sous-effectif permanent. Entendez les personnels des greffes, qui travaillent dans un système judiciaire engorgé. Entendez les avocats, qui ne sont pas là pour ralentir l’administration de la justice, mais bien pour remplir leur office, consistant à assurer en toute circonstance les droits de la défense.
Aussi, à l’occasion de la nouvelle lecture, je vous invite à prêter une attention toute particulière aux justiciables et aux professionnels qui vivent sur les territoires, ainsi qu’aux messages portés par les députés enracinés dans le quotidien de nos concitoyens. Le groupe Libertés et territoires a déposé un certain nombre d’amendements qui visent notamment à préserver et renforcer une justice de proximité, à protéger les droits de la défense, à assurer un égal accès à la justice pour chacun de nos compatriotes. Nous devons veiller à ne pas bouleverser l’organisation de la justice par le biais d’amendements déposés à la dernière minute.
L’exemple le plus choquant est votre volonté de voir réformer la justice des mineurs par voie d’ordonnance, alors même qu’il s’agit d’un vrai débat de société et que nous ne savons rien de vos intentions en matière de conjugaison entre mesures éducatives et sanctions. Cette façon de procéder ne nous convient pas. Je pense que la représentation nationale doit s’investir sur la question. Notre collègue Jean-Michel Clément, spécialiste du sujet, aurait bien voulu être entendu et avoir le privilège de participer à la réflexion.
Les conditions dans lesquelles les deux textes soumis à notre examen ont été adoptés en première lecture ne nous semblent donc pas à la hauteur d’une réforme de la justice. Ainsi, il aurait été légitime que la loi organique fasse l’objet d’un vote solennel.
Comme je vous le disais à l’instant, les députés de notre groupe ont déposé un certain nombre d’amendements, tous guidés par le souci de l’intérêt général, la volonté de mettre en œuvre un service public de la justice proche de nos concitoyens, la nécessité de réaliser un maillage territorial équilibré et d’évoluer vers une institution judiciaire organisée pour répondre aux enjeux de demain.
Nous souhaitons qu’à l’occasion de la nouvelle lecture, avec votre majorité, vous ouvriez la porte aux amendements qui ne sont pas issus de votre formation politique ou des rangs de vos amis. Pendant les campagnes présidentielles et législatives de 2017, vous aviez promis – comme nous, d’une certaine façon – un monde nouveau. Les députés du groupe Libertés et territoires avaient compris que ce monde nouveau allait permettre de réformer notre pays en étant à l’écoute de tous, en rassemblant les forces vives de la nation, notamment ses forces politiques, pour travailler ensemble. Si jusqu’à présent, cela n’a pas été le cas, il n’est cependant pas trop tard.
Acceptez, par exemple, la suppression de l’article 52 A, par lequel vous demandez à ce que le Gouvernement soit habilité à procéder par voie d’ordonnance afin de diversifier les modes de prise en charge des mineurs délinquants.
Acceptez aussi de supprimer l’article 53, qui prévoit la fusion du tribunal de grande instance et des tribunaux d’instance de son ressort en un tribunal judiciaire. À terme, nous estimons que cette fusion entraînera inévitablement une refonte de la carte judiciaire, contribuant ainsi à éloigner la justice des citoyens et à créer des déserts judiciaires. Il me paraît essentiel que, dans ce domaine aussi, toutes les parties prenantes soient concernées : la justice bien sûr, mais aussi les représentants des justiciables, par exemple à travers les comités départementaux d’accès au droit, dans lesquels sont présents les élus locaux.
Acceptez également d’inscrire une obligation de transparence des algorithmes utilisés dans les outils de traitement des décisions de justice. Au-delà de la régulation du cadre de la diffusion des décisions de justice, il est important d’encadrer les outils qui assureront l’exploitation des décisions mises en ligne. Ceux-ci livreront en effet des informations sur les pratiques des juridictions et permettront de fonder des analyses et des prédictions, potentiellement discutables, sur l’issue de certains litiges. C’est pourquoi, comme le souligne le rapport Cadiet qui vous a été remis il y a un an : « L’objectivité et la qualité de ces traitements représentent […] un enjeu de transparence essentiel. »
Acceptez de tenir compte de nos nombreux autres amendements sur les différents articles de vos deux textes. Ils sont issus des réalités du terrain, de l’expérience et du bon sens des professionnels du droit, qui défilent en ce moment contre votre réforme.
Liberté, égalité, justice et proximité, voilà ce qui doit vous guider, nous guider tout au long de nos débats si nous voulons parvenir à un texte équilibré, à la hauteur des enjeux. Ne subordonnez pas l’organisation de la justice aux contingences financières, qui sont la seule boussole des services de Bercy, à l’exclusion de tout critère qualitatif. On ne saurait apprécier la qualité de la justice à l’aune des données des éditeurs numériques. Sous couvert d’économies et de rationalisation, ne déshumanisez pas notre justice en faisant du numérique le support des procédures ; rien ne peut remplacer la relation directe entre les magistrats et le justiciable. Sous couvert de simplifier la vie des citoyens dans la justice du quotidien, ne fragilisez pas les droits des justiciables. Sous couvert de renforcer la procédure pénale, ne portez pas atteinte aux libertés fondamentales de nos concitoyens ; n’éloignez pas la justice de chacun d’entre eux.
Madame la garde des sceaux, cette nouvelle lecture vous offre la possibilité d’apporter une réponse claire, porteuse d’avenir et respectueuse d’un service public de la justice efficace et tourné vers chaque Français, d’un service public de la justice que nous souhaitons continuer à porter fièrement comme un étendard, d’un service public digne de ce pays, qui se dit le pays des droits de l’homme.