Newsletter Octobre 2021 : l’éditoral
Les circonstances exceptionnelles et le salut public sont deux ennemis de la liberté. C’est ce que défend Mona Ouzouf dans sa dernière publication. Je crois qu’il faudrait lui ajouter le sentiment de d’omniscience de la technocratie.
Le problème n’est pas que nos technocrates soient idiots ou qu’ils soient mal formés ; le problème est qu’ils croient détenir la vérité et qu’ils manquent de prudence et de recul, quand ils ne sont pas cyniques. Rien ne peut remplacer l’expérience de terrain et la connaissance de la vie des différentes classes sociales. La vie et la politique – dans le sens de la vie de la cité – ne peuvent se résumer dans un texte de loi voté à l’Assemblée ou un règlement rédigé dans un ministère. La vie, ce que d’aucuns appellent le terrain, est bien plus complexe que les lois et règlements. Or, par facilité intellectuelle mais aussi pour des raisons de responsabilités juridique, l’administration élabore des textes de plus en plus complexes, de moins en moins adaptables, et qui seront appliqués par d’autres fonctionnaires, non en fonction du service rendu, mais en fonction de l’observance de la règle. On confond donc l’esprit et la lettre de la loi. Nos concitoyens ne comprennent pas cette application littérale qui fait que leur cas personnel entre difficilement dans ces cases administratives. Ils essuient des refus là, où, avec un peu de bon sens, on aurait pu trouver une solution, sinon idéale, tout du moins acceptable.
Cette tendance est renforcée en cas de crise. L’administration et le pouvoir exécutif se servent des circonstances pour imposer sans débat ce qu’ils pensent être bon pour le pays. Ainsi, la gestion de la pandémie a été centralisée, dirigée par l’administration, qui s’est vue dotée par le Parlement de pouvoirs exorbitants du droit commun. Dans les départements, ce sont les préfets qui ont pris les décisions. Les élus ont été au mieux informés, au pire, sommés d’appliquer les règles qu’ils découvraient. Si nous convenons tous qu’il fallait prendre des mesures de lutte contre le COVID, cela devait-il se faire sans les élus locaux qui sont les représentants du peuple ? Quelle est la légitimité démocratique des comités scientifiques, certains diraient «Théodule », ou du conseil de défense ? N’ont-ils pas été instrumentalisés par le pouvoir exécutif, sachant que leurs avis ne sont pas toujours publics ? Les mesures les plus contraignantes de limitation de libertés (fermeture d’établissements ou des marchés, couvre-feu, confinements, interdiction des réunions, choix dans la stratégie de santé de lutte contre le virus) n’ont pas été discutées et votées au Parlement. Ce dernier s’est contenté de se dessaisir de ses pouvoirs en faveur de l’exécutif. Pourtant, les élus, dont les parlementaires, sont les représentants, et je dirais même, les avocats du peuple. Le régime de la Vème République n’est pas équilibré en ce qu’il accorde trop de pouvoir au Président de la République et à l’administration centrale au détriment des collectivités locales et du Parlement. Ce phénomène s’est encore renforcé depuis 2017. Nous avons bien là un problème démocratique et il ne faudra pas s’étonner des niveaux d’abstention à venir.
Face à ce constat, la solution pour redonner du pouvoir aux élus est double :
– Renforcer les pouvoirs du Parlement et déconnecter l’élection des députés avant de celle du président de la République ;
– Réaliser la régionalisation en permettant aux élus locaux d’adapter les lois et règlements en fonction des réalités locales et en concertation avec des habitants.
La démocratie ne doit pas se résumer à l’élection d’une personne tous les cinq ans, disposant de pouvoirs conséquents. C’est au quotidien, et au plus près des habitants, qu’elle s’exerce le mieux.