Portrait du mois. Premières vendanges à Questembert : le pari viticole de la famille Corpart
A Questembert, la famille Corpart signe une première historique : celle des premières vendanges du territoire. Installée au lieu-dit Kerjuhel, cette famille, originaire de Champagne, relève le pari de la viticulture en sud Morbihan. Une aventure osée dont ils récoltent aujourd’hui les tout premiers fruits…
C’est un grand jour pour la famille Corpart. Un jour qu’elle rêve et attend depuis près de cinq ans maintenant. Celui de ses premières vendanges au lieu-dit Kerjuhel à Questembert. Un évènement inaccoutumé pour le territoire qui, jusque-là n’était pas perçu comme propice à la culture de la vigne. Mais ça, c’était sans compter sur les effets du réchauffement climatique qui ont convaincu des entrepreneurs audacieux de se lancer dans l’aventure de la viticulture, notamment dans le sud du Morbihan, où le climat, plus doux, devient de plus en plus favorable à la production de vin.
C’est dans cette aventure un peu folle que s’est lancée la famille Corpart depuis 2021, année où elle décide tout quitter : sa vie en Champagne, son terroir, pour s’installer en Bretagne, portée par un projet familial et une envie de se retrouver. « Lison, notre fille, vivait à Bordeaux, nous en Champagne-Ardenne ; et l’idée d’initier un projet, ensemble, en Bretagne, où nous partagions nos plus beaux souvenirs de vacances, a peu à peu fait son chemin. »
C’est via le site de la SAFER Bretagne qu’ils découvrent l’opportunité de reprise d’une exploitation sur le site de Kerjuhel, à Questembert. « Nous sommes venus visiter et lorsque l’on a découvert ce petit coteau, exposé sud et au sous-sol de schiste ardoisier, ça a été le déclic ! » Très vite, le pressentiment se confirme. Les analyses de sol confirment que la terre est bien propice à la culture de la vigne. Le pari était enfin lancé et aujourd’hui, il porte ses premiers fruits.
Pour Jean-Luc, la viticulture n’est pas un monde inconnu, bien au contraire. Issu de la septième génération de cultivateurs, il a fait carrière dans une des plus grandes maisons de Champagne pendant 38 ans. « Quand j’ai annoncé à mes collègues œnologues que je quittais tout pour reprendre une petite ferme abandonnée et produire du vin en Bretagne, ils étaient un peu décontenancés, reconnait-il. Mais, aujourd’hui, quand je vois ce beau raisin, sain et doré par le soleil, je me dis que j’ai bien fait. Je n’ai aucun regret. »
Et pourtant, rien n’a été simple. Le montage du dossier administratif a pris près de trois ans. « Une fois les autorisations obtenues, est venue l’heure des plantations », raconte Sylvie. Au total, 5 000 plants par hectare ont été mis en terre, à la main. L’idée ? Produire exclusivement du vin blanc sec. Ainsi, en 2023, la famille commence par planter un hectare de Floréal et un hectare de Chardonnay. L’année suivante, ce sont le Chenin et le Sauvignon qui occupent les deux hectares restants. Soit un total de 20 000 pieds de vigne qui prennent racine à Kerjuhel.
En ce mois de septembre, l’aboutissement tant attendu est enfin là : l’heure des premières vendanges a sonné. Il ne s’agit encore que d’une demi-récolte – l’autre moitié des vignes ne sera prête qu’à partir de l’année prochaine -, mais peu importe : le moment est à la fête. « Regardez ce raisin ! » lance Jean-Luc, en désignant les grappes. « On ne pouvait pas rêver mieux. » C’est donc dans la joie et avec un enthousiasme non dissimulé que les grappes sont coupées à la main. Parmi les vendangeurs : Frédéric, un jeune cousin d’origine bretonne « qui a quitté le monde de la mer pour s’enraciner dans la terre » pour devenir salarié de l’exploitation, mais aussi plusieurs membres de la famille, venus spécialement de Bretagne pour prêter main-forte. « Cette année, il nous faudra quatre jours pour tout vendanger. L’an prochain, avec les deux autres hectares arrivés à maturité, il en faudra huit. »
Avec Jean-Luc aux commandes, la méthode est parfaitement rodée. Les raisins, fraîchement coupés, sont aussitôt transvasés dans de petites caisses, puis acheminés jusqu’au pressoir installé dans le corps de ferme, récemment rénové. « Les cycles de pressurage se font toujours le jour même », insiste Jean-Luc, soucieux de préserver la fraîcheur de la production pour gagner en qualité. Une fois le jus extrait, il est récupéré dans la maie avant de rejoindre directement les cuves. Dans une aile de la longère en granit, cinq cuves en inox trônent dans une atmosphère fraîche et maîtrisée, prêtes à « travailler ». C’est ici que débute véritablement le processus de vinification, avec la fermentation. « C’est là qu’une période de maturité commence », explique Jean-Luc. « On laisse le vin se reposer pour qu’il puisse s’exprimer. Dans quelques semaines, ou même quelques mois, nous procéderons au premier tirage ». L’objectif ? Remplir 10 000 bouteilles. « Mais aussi quelques tonneaux, destinés à conserver certains vins en vieillissement. »
À Questembert, un nouveau vignoble est né et sa première cuvée se prépare avec soin et technicité. Dans le petit village de Kerjuhel, la famille Corpart prouve que produire du vin dans le sud du Morbihan n’est plus un rêve… mais une réalité bien enracinée.