Pour une politique culturelle véritablement décentralisée
L’Hyperconcentration des dépenses du ministère de la Culture vers la région Ile-de-France est un mal bien connu maintenant des politiques publiques de l’Etat français. Je suis donc intervenu en séance le 31 octobre pour essayer de proposer des solutions à cette inégalité criante dans le cadre de l’examen du budget de la Mission culture du projet de loi de finances pour 2019. Ci-dessous, le compte-rendu écrit de mon intervention.
M. Paul Molac. Aotroù kadoriad – « monsieur le président » –, le budget de la mission « Culture » est stabilisé par rapport à celui de l’année dernière. On peut même noter une légère augmentation de 0,7 %, que nous approuvons bien évidemment.
Je vais axer mon propos sur la nécessité d’une véritable décentralisation de la politique culturelle. Dans une question écrite, j’avais interpellé le ministère sur l’hyperconcentration des crédits dans la région Île-de-France. Les réponses apportées amènent plusieurs réflexions.
La première porte sur le constat chiffré. Les dépenses culturelles du ministère sont, comme plusieurs députés l’ont rappelé, de 139 euros par habitant et par an en Île-de-France, contre 15 euros dans les autres territoires. Nous pouvons également analyser la répartition géographique : la région Île-de-France bénéficiait, en 2016, de 68 % du total des crédits pour 18 % de la population, quand la région Bretagne, par exemple, en recevait 2 % pour 5 % de la population. À titre de comparaison dans le temps, le taux atteignait 66 % pour l’Île-de-France en 2013, si bien que nous pouvons affirmer que le déséquilibre ne se résorbe pas.
Pour justifier cette différence, le ministère estime que l’implantation majoritairement parisienne des établissements publics nationaux a pour effet de surreprésenter le montant des dépenses culturelles du ministère de la culture et de la communication sur la région Île-de-France. Je répondrai qu’il n’existe aucune fatalité à l’implantation majoritairement parisienne de ces organes nationaux : il s’agit avant tout de décisions politiques, et rien ne peut justifier les raisons de cette hyperconcentration dans la région capitale.
En réalité, seuls des dispositifs timides sont mis en avant pour essayer d’enrayer cette hyperconcentration des crédits. C’est notamment le cas du plan « Culture près de chez vous », qui se décline en trois piliers : les artistes et la culture sur les routes de France, la mobilité des œuvres et le déploiement de musées numériques de proximité. Autant vous le dire, ce plan est parfois contesté par les milieux culturels non parisiens, en raison de sa nature descendante et jugée paternaliste. Il ne faut évidemment pas confondre démocratie culturelle et démocratisation de la culture. Le dispositif du Pass culture nous paraît répondre davantage à ce besoin de culture de proximité, même s’il ne règle pas la question des zones blanches du service public culturel et si des questions se posent quant à son financement et à sa pérennité. Nous approuvons l’idée d’en passer par une expérimentation, qui permettra de comprendre les tenants et aboutissants de ce Pass culture.
Par ailleurs, le rapport de 2014 de l’inspection générale des affaires culturelles – IGAC – explique que la comparaison des dépenses de crédits entre la Corse et les autres régions, hors Île-de-France, est à mettre à part, puisque l’essentiel des moyens du ministère a été transféré à la collectivité territoriale de Corse par la loi du 22 janvier 2002. L’État n’y a en effet conservé que ses compétences régaliennes dans les domaines patrimoniaux.
Voilà une piste à suivre pour réaliser une véritable décentralisation de la politique culturelle au service des territoires. Ainsi, en Bretagne, une délégation de compétences de l’État à la région est effective depuis le 1er janvier 2016, pour une durée de six ans, dans les domaines du cinéma, de l’audiovisuel, du livre et du patrimoine. Il convient, à mon sens, d’aller plus loin, en transférant définitivement ces compétences à la région et en y ajoutant le domaine de l’éducation artistique, et en particulier du spectacle vivant. Ce schéma devrait d’ailleurs être transposable à toutes les régions qui en feraient la demande, pour une meilleure efficacité, équité et proximité des politiques culturelles.
Ces éléments sont à mettre en parallèle avec les propos de Stéphane Bern, qui comparait les 450 millions d’euros nécessaires pour rénover le Grand Palais à Paris aux 20 millions à dénicher pour le patrimoine vernaculaire des petits villages. Et que dire des 0,2 % du budget, soit 3,2 millions d’euros, consacrés à la préservation du patrimoine linguistique de France, comprenant normalement les langues régionales ? Ils sont, en effet, presque totalement consacrés au développement de la langue française : 110 millions seront consacrés à la future Cité de la francophonie au château de Villers-Cotterêts, dont nous ne connaissons du reste pas les contours. D’ailleurs, n’est-il pas fait un contresens historique ? L’Édit de 1539 n’établit aucunement le français comme langue administrative, mais remplace le latin par la « langue maternelle française ». Cela explique que les parlements de Bordeaux ou de Toulouse ont continué, jusqu’à la Révolution française, à écrire leurs actes officiels en occitan. Il y a donc peut-être là un contresens historique.
Par ailleurs, je me dois de relayer une inquiétude grandissante, soulevée par la récente circulaire du 15 mai 2018 imposant de facturer aux organisateurs d’événements culturels certaines missions assurées par les forces de l’ordre. Cette nouvelle contrainte financière pourrait engendrer l’annulation, voire même la suppression de certains spectacles ou festivals. Quelle réponse pouvez-vous apporter à cette inquiétude ?
En définitive, monsieur le ministre, la politique de rééquilibrage vers les régions est une priorité affichée de votre ministère, mais nous savons qu’elle prendra du temps, raison pour laquelle des actes significatifs devront être pris rapidement.