Reconstruction de Notre-Dame de Paris : une loi d’affichage
Au milieu de la nuit, l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture le projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris.
L’incendie et la destruction partielle de l’édifice ont ému, à juste titre, beaucoup de Français. Néanmoins, je reste persuadé que le Gouvernement fait véritablement fausse route en faisant voter une loi d’exception et dérogatoire en vue de la réhabilitation de l’édifice.
L’Etat dispose déjà de l’ensemble des moyens, légaux, institutionnel et financiers afin de pouvoir réaliser cette remise en état. Malgré nos demandes d’éclaircissement à l’attention du ministre, nous n’avons toujours pas obtenu d’explications concrètes sur le bienfondé de la création d’un établissement public de l’Etat afin d’assurer la coordination et la réalisation des études et des opérations concourant à la conservation et à la restauration de la cathédrale. Mieux encore : la loi dispose qu’il pourra être dérogé aux règles de limite d’âge applicables à la fonction publique de l’Etat pour les dirigeants de cet établissement public. Et la nomination du général Jean-Louis Georgelin, ancien chef d’état-major des Armées, à la tête d’une mission spéciale pour veiller à l’avancement des travaux renforce encore notre étonnement : pourquoi sortir un général de sa retraite pour lui confier une mission dans les domaines culturel et architectural dans lesquels il n’a jamais exercé ?
Par ailleurs, alors que l’architecture de cette cathédrale nécessite justement de tenir compte de toutes les précautions d’usage en matière de réglementation, le Gouvernement a choisi de déroger par ordonnance aux règles de protection du patrimoine et des normes environnementales en vigueur. Sur ce sujet, nous attendons également les explications du ministre de la culture.
Que dire également de la hausse à 75% du taux de réduction d’impôt sur le revenu au titre des dons et versements effectués par les particuliers dans la limite de 1000€ ? Une telle exception au droit commun nous fait penser à la réduction d’impôt relative à la « loi Coluche », mais cette dernière est quant à elle limitée à des dons n’excédant pas 529€. Doit-on considérer qu’il vaut mieux dès lors contribuer à la reconstruction d’une cathédrale plutôt que de fournir des repas aux personnes démunies ? En réalité, cette dérogation permet notamment d’optimiser la fiscalisation des ménages les plus aisés. Alors qu’un ménage sur deux aujourd’hui n’est pas assujetti à l’impôt sur le revenu, il est aisé de deviner qui sont les bénéficiaires d’un tel traitement de faveur de la part du Gouvernement.
Cette reconstruction de Notre-Dame est de toute évidence une nécessité, mais je regrette que le moyen pour y parvenir traduise encore davantage une vision parisiano-centrée de notre pays. Les Bretons n’ont quant à eux jamais bénéficié de telle loi d’exception pour la reconstruction du Parlement de Bretagne, de la Cathédrale de Nantes, du Château des Rohan à Pontivy ou encore du Sacré-Cœur de Ploërmel. Le traitement entre les monuments est franchement inéquitable. De plus, quand on sait que les dépenses de l’Etat en matière culturelles s’élèvent en moyenne chaque année à 139€ par Francilien contre 15€ par habitant du reste du territoire (1) et que tous les moyens existent pour cette réhabilitation, on ne peut qu’être surpris de ce traitement dérogatoire. Tous les Français sont égaux mais il semble que certains le soient plus que d’autres.
(1) Michel Feltin-Palas, Culture : un scandale français, L’Express, 12 juin 2019, n°3545.