2ème lecture de la loi sur la délimitation des régions
Le 17 novembre, je suis intervenu sur le débat sur la délimitation des régions. Une réforme ne peut réussir que si elle correspond à la volonté des citoyens. Des régions technocratiques ne feront qu’éloigner les élus de leur population.
Des régions humaines, des régions réelles, gage de démocratie.
Monsieur le président,
Messieurs les ministres,
Monsieur le rapporteur,
Monsieur le président de la Commission des Lois,
Mes chers collègues.
Bis repetita non placent ! Une fois n’est pas coutume je vous parle en latin mes chers collègues, pour vous dire que ce n’est guère avec plaisir que je me dois de répéter que du point de vue profondément décentralisateur et régionaliste qui est le mien, ce texte de loi va à l’encontre des principes que je défends. Car nous voilà en deuxième lecture à l’Assemblée nationale avec quasiment le même texte que celui que nous avions transmis au Sénat. Tout du moins, la carte, après le passage en commission, est revenue à celle que l’on avait votée en juillet.
Entre la première lecture et aujourd’hui, des événements difficilement imaginables dans ce pays se sont pourtant déroulées ailleurs en Europe, notamment en Catalogne et en Ecosse : une expression populaire et démocratique des habitants sur l’avenir de leur région. Pour ce qui est de l’Ecosse, le processus a été exemplaire d’un point de vue démocratique. Nous avons encore beaucoup à apprendre de la démocratie parlementaire britannique où il serait par ailleurs impensable de fusionner le Pays-de-Galles avec les West-Midlands !
Alors que les Écossais votaient pour leur avenir après un débat de fond remarquable malgré une opposition résolue de l’ensemble des élites, notamment financières, des gouvernements et de la presse européenne et internationale ; en France, les Alsaciens en sont réduits à espérer que leur région ne disparaisse pas de force dans un grand-est technocratique et les Bretons que l’on considère enfin l’expression majoritaire du peuple sur une réintégration de la Loire-Atlantique à la Bretagne.
Car oui, tout comme il y a un peuple écossais ou catalan, il existe un peuple breton, corse ou alsacien ! Qu’est-ce qu’un Peuple sinon que l’expression d’un « consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu », comme le disait Ernest Renan ? Dès lors, comment nier la qualité de peuple à ces ensembles de personnes alors que même le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe reconnaissait « le peuple corse comme partie intégrante du peuple français » ? Cette formulation a minima avait pourtant été censurée par le Conseil constitutionnel, égal à lui-même, dans le statut pour la Corse de 1991.
Comme je l’avais dit lors de la première lecture : Oui, on peut à la fois être Breton, Français, Européen et bien plus encore. Assumer cette identité multiple au sein de la République, c’est cela aujourd’hui être républicain. Et contrairement à ce que beaucoup de nos collègues diront tout à l’heure lors des débats, le risque de repli identitaire n’est pas régional, il ne se retrouve d’ailleurs pas dans les urnes. C’est le repli identitaire français, avec des idées bien particulières qui ont obtenu 25 % des suffrages aux dernières élections européennes, qui est quant à lui plus que jamais réel et préoccupant !
Ce que je veux dénoncer par mon propos, c’est que cette réforme, en s’inscrivant pleinement dans le principe d’unicité du peuple français énoncé par le Conseil constitutionnel en niant la prise en compte des territoires et des populations, est profondément jacobine à l’image de notre Constitution. L’imposition par le haut d’un redécoupage technocratique semble d’ailleurs aller à l’encontre des engagements internationaux pris par la France. En effet, la France a ratifié la Charte européenne de l’autonomie locale le 17 janvier 2007. Cette Charte dit dans son article 5 que « pour toute modification des limites territoriales locales, les collectivités locales concernées doivent être consultées préalablement, éventuellement par voie de référendum là où la loi le permet ».
Ainsi, fidèles à nos principes de fédéralisme différencié, nous ne pouvons accepter que cette réforme territoriale soit sous-tendue par une logique purement comptable de réduction des dépenses, qui s’avérera très vite contredite, et de division par deux du nombre de régions en proposant des fusions bloc par bloc. Les périmètres des régions ne sauraient être définis sur des critères technocratiques. Cette carte ne peut-être issue que de consultations locales et de consensus territoriaux pris en toutes considérations.
Elle doit surtout permettre des ajustements à la marge, en permettant un droit d’option plus souple que celui qui est contenu dans le texte, en supprimant notamment le vote à la majorité des 3/5éme et surtout le droit de veto de la région de départ, disposition dont la suppression est au cœur de la proposition de loi que j’ai déposé en avril dernier.
Ce dispositif faisait d’ailleurs dire en ces termes au célèbre constitutionnaliste Guy Carcassonne que la procédure est en l’état inapplicable : « En gros, cela veut dire que quand madame a un amant et souhaite partir avec lui, il faut que monsieur soit d’accord. C’est quand même assez étrange », concluait-il. Cette disposition mériterait d’ailleurs d’être vérifiée du point de vue de la Constitution, puisque elle semble être en contradiction avec le principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre.
Je regrette néanmoins que ceux qui s’élèveront, parfois avec panache, souvent par posture, tout à l’heure lors de nos débats contre ce projet de loi, sont issus de la même formation politique qui au Sénat s’est emparée de l’esprit de cette réforme en ne modifiant qu’à la marge un texte voué aux gémonies sur les bancs de l’opposition de notre assemblée. La logique jacobine est finalement assez équitablement répartie.
Sur le fond, cette réforme, en créant de grandes régions, éloignera davantage le citoyen des centres de décisions.
La conséquence, on la connaît désormais tous, c’est qu’il sera impossible dans les immenses régions d’envisager la suppression des conseils départementaux, que nous appelions de nos vœux pour alléger le mille-feuille administratif. Nous comprenons que dans une région gigantesque comme Auvergne-Rhône Alpes ou Aquitaine-Limousin-Poitou Charentes, le sentiment d’abandon veuille que l’on ne supprime pas ce qui fait de la proximité dans les territoires ruraux.
De même, nous ne saurions nous opposer à la disparition d’un département Savoie issu des deux existants actuellement, ou d’un département Alsace, si par malheur, cette région venait à être fusionnée dans un Grand Est.
Une autre solution était toutefois possible avant d’en arriver là : ne pas faire de régions immenses, dont on sait très bien par les exemples européens qui nous entourent, que la taille ne fait pas la performance. Par contre, nous demandons avec force que nous puissions, dans les régions qui le demandent, notamment en Bretagne, faire vivre l’expérimentation en permettant la fusion des départements bretons avec le Conseil régional en vue d’une assemblée unique dans laquelle le département de la Loire-Atlantique doit trouver sa place. Projet éminemment tourné vers l’avenir, ce plan vise à constituer une Bretagne où les citoyens seraient au cœur du projet politique.
Les demandes d’expérimentations étaient contenues dans le Pacte d’avenir pour la Bretagne signé par le Conseil régional et le Premier ministre de l’époque, le même qui six mois plus tard était pour la disparition d’une collectivité territoriale propre à la Bretagne. Gageons que le Premier ministre actuel, lors de sa prochaine visite en Bretagne un an après la signature de ce pacte d’avenir, puisse confirmer cette évolution.
C’est par ailleurs fort d’une identité ouverte et profondément républicaine que les Bretons estiment à juste titre que la question de la réunification de la Bretagne est une question de démocratie. « Une réparation historique », avait même dit François Mitterrand en 1981. Alors que l’ensemble de la carte administrative française sera bouleversée, comment expliquer aux habitants de la Loire-Atlantique que leur département ne réintégrerait pas sa région d’origine malgré leur soutien constant affiché dans toutes les études d’opinions (70% pour) et lors de nombreuses manifestations, dont la dernière a réuni 30 000 personnes à Nantes le 27 septembre dernier ? Alors que le Gouvernement a appelé les Français à se saisir de cette réforme, on opposerait une fin de non-recevoir aux seuls citoyens de toute la France, avec les Alsaciens, qui se mobilisent avec enthousiasme sur la question ?
Car sans l’ombre d’un doute, une région Bretagne à cinq départements serait une région cohérente et puissante de son nom connu et reconnu, de sa démocratie, de sa légitimité, de ses réseaux, de sa culture, de son histoire, de sa volonté de travailler ensemble, de vivre ensemble, d’avancer ensemble, d’imaginer ensemble. Une puissance saine, positive, compétitive, pour le développement et l’épanouissement de ses habitants, leur ouverture confiante et optimiste au monde.
Car, comme nous le montre les travaux du politologue Tudi Kernalegenn, tous les exemples européens témoignent que la force des régions ne provient pas de leur taille mais de leurs compétences et de leur budget, de leur cohésion et de leur cohérence. Elle vient des citoyens s’ils se reconnaissent dans les institutions régionales. Le postulat de départ de cette réforme territoriale, faire de grandes régions pour avoir des régions puissantes, est en effet totalement biaisé, lorsque l’on sait qu’avec 25 000 km carré par région, les régions françaises sont les deuxièmes régions les plus grandes en superficies, après les espagnoles
Car ce qui fait sens, ce n’est pas tant le poids démographique et la taille d’un territoire, mais le sentiment d’appartenance et la volonté d’avoir un destin commun des populations qui y vivent. En témoignent les États ou régions autonomes de l’Union européenne dont la superficie ou le nombre d’habitants sont, par exemple, plus faibles que bon nombre de nos régions françaises (Danemark, Pays-Bas, Suisse).
Le Président de la République s’est engagé résolument avec le Premier ministre en faveur d’une réforme territoriale donnant aux régions des moyens d’action se rapprochant des standards européens. Nous attendons donc des évolutions sur le plan des compétences et des leviers financiers alloués aux régions, et espérons pouvoir contribuer à aller le plus loin possible avec le Projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
Car, les marges de manœuvre des régions sont contraintes, et même très limitées, par une autonomie fiscale qui n’a cessé de reculer depuis quinze ans, et qui ne représente plus que 10 % en moyenne des recettes. Nous serons donc attentifs aux précisions quant à l’engagement pris par le Premier ministre de doter les régions d’une nouvelle ressource avec des bases dynamiques et quant à l’obtention d’une compensation intégrale pour les futures compétences octroyées aux régions.
Au final mes chers collègues, à l’aune des débats qui nous animent aujourd’hui et qui continueront à le faire dans les prochains mois, la question que l’on doit véritablement se poser est la suivante : les régions pour quoi faire ?
En effet, alors qu’il y a une méfiance de plus en plus grande envers l’action publique, quand le pouvoir semble de plus en plus lointain, déconnecté de la réalité, le projet de diviser par deux le nombre des régions risque d’être néfaste pour la démocratie, d’être vécu comme un véritable retour en arrière, créant des régions encore plus artificielles que celles qui existent, encore plus déconnectées des aspirations et de la vie des citoyens. Car entre le choix d’une régression technocratique ou d’une évolution démocratique, l’alternative n’est pas légère.