Statut des semences de ferme
QUESTIONS AU GOUVERNEMENT – Question écrite n° 23866 adressée au ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt
Question publiée au JO le : 16/04/2013
Réponse publiée au JO le : 18/06/2013
Texte de la question
M. Paul Molac attire l’attention de M. le ministre de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur le statut des semences de ferme suite à l’adoption de la loi n° 2011-1843 du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale (COV). Ce texte, adopté contre l’avis des députés de gauche, généralise un droit de propriété intellectuelle sur les variétés d’espèces végétales créées par les firmes semencières. En conséquence, les agriculteurs ne pourraient plus ressemer les graines issues de leur propre récolte, sauf pour certaines cultures et à la condition de payer un droit aux entreprises titulaires des COV. Le Président de la République, alors candidat, avait assuré de la nécessité de réviser ce texte. Il faudra revenir sur la définition même de semences paysannes, et reconnaître positivement leur rôle et leur usage.
Les semences paysannes sont adaptées à une agriculture écologique (variétés résilientes, moins gourmandes en intrants, moins chères) et à un mode de production permettant aux agriculteurs de prendre leurs itinéraires techniques en main. Le cheminement vers une agriculture écologiquement soutenable des producteurs passe par une responsabilisation et une autonomie dans leurs pratiques. Ces deux types de semences sont complémentaires, et indispensables à une agriculture diversifiée.
Les paysans agissent depuis des années pour créer des produits sains et protéger l’environnement. Cela passe par la préservation de leurs savoirs faire pour conserver les semences. Ajouter des contraintes taillées pour une agriculture industrielle (voie mâle, COV, puçage électronique), encourage chaque jour d’avantage à la privatisation du vivant au profit de quelques firmes. Aujourd’hui les décrets d’application sont en cours de rédaction. Il lui demande de l’assurer du bon rééquilibrage de cette loi par ces décrets.
Texte de la réponse
La loi n° 2011-1843 du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale (COV) conforte le dispositif des COV comme élément essentiel de protection intellectuelle des variétés végétales, permettant de protéger l’innovation dans le secteur de la génétique végétale dans le respect de l’équilibre des droits entre les différents acteurs. Cette loi permet également à la France de se mettre en conformité avec ses engagements internationaux en matière de protection intellectuelle des obtentions végétales, et notamment avec la convention de 1991 de l’union pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Ces engagements ont été réaffirmés à travers la publication du texte de cette convention par décret du 5 juillet 2012. Le dispositif des COV tel que prévu par la Convention de l’UPOV est un système de protection intellectuelle plus ouvert que d’autres dispositifs comme celui des brevets. En effet, ce dispositif « open access » permet entre autres que l’agriculteur qui met en culture une variété pprotégée puisse utiliser une partie de sa récolte comme semence en vue de la récolte suivante (« semence de ferme »), sans accord préalable de l’obtenteur. Le texte de la loi renvoie à des accords interprofessionnels le soin d’organiser les modalités de cette pratique, notamment le versement d’une indemnité aux obtenteurs détenteurs du COV afin de prévoir une juste rémunération de leurs travaux de recherche. Ce sont ces travaux de recherche, associés à la recherche académique publique, qui permettent la mise à disposition des agriculteurs et des consommateurs de variétés répondant aux enjeux de durabilité de l’agriculture, de son adaptation aux changements climatiques et de qualité sanitaire et nutritionnelle des aliments.
Alors que le développement d’une nouvelle variété représente un investissement lourd (1,5 millions d’euros en moyenne sur 10 années pour une nouvelle variété de blé), l’objectif est de créer les conditions d’une juste rémunération de l’effort de recherche. La rédaction de ces accords interprofessionnels requiert une large concertation des parties prenantes, au sein des filières et de façon transversale. Dans le but de faciliter cette concertation le ministre chargé de l’agriculture a nommé courant avril deux médiateurs, ingénieurs généraux du ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt qui ont pour mission de permettre la concrétisation d’accords équilibrés au bénéfice de tous les intervenants.
La loi du 8 décembre 2011 n’oblige aucun agriculteur à utiliser une variété protégée par un COV. Pour les variétés non protégées (plusieurs centaines inscrites au catalogue national des espèces et variétés de plantes cultivées), ce texte ne modifie en rien le droit des agriculteurs à ressemer leur champ avec une partie de leur récolte. Il convient de plus de noter que ces dispositions relatives à la protection intellectuelle des obtentions végétales ne modifient en rien la réglementation déjà applicable en matière d’échanges et de commercialisation des semences, réglementation qui est directement issue de directives européennes.
Cette réglementation permet l’accès au marché à une très grande diversité de matériel génétique, en terme d’espèces, de structures génétiques, de modes d’obtention, d’adaptations aux conditions locales d’exploitation et aux usages des produits de la récolte, dans le but de répondre à la très grande diversité des situations et des demandes des agriculteurs français. Au-delà de ce que permet déjà la réglementation sur la commercialisation des variétés et des semences, les services du ministère chargé de l’agriculture, avec l’ensemble des parties prenantes concernées, mènent par ailleurs des travaux visant à mieux caractériser et qualifier les matériels issus de la pratique des semences paysannes, conformément aux orientations définies dans le cadre du plan d’action semences et agriculture durable. Ainsi, la loi du 8 décembre 2011 ne crée en aucune façon une nouvelle taxe pour les agriculteurs, mais au contraire donne désormais un cadre légal à la pratique des semences de ferme pour des variétés protégées par un COV national, pratique ancestrale dans le monde agricole. Il était en effet urgent, à travers la modification de notre droit national et dans le respect des règles internationales, de remettre dans la légalité cette pratique de nombreux agriculteurs.
La transposition de la Convention 1991 de l’UPOV permet par ailleurs de consolider le positionnement de ce dispositif vertueux de protection de la propriété intellectuelle des obtentions végétales face au brevet. Les décrets d’application de cette loi sont actuellement en cours de rédaction par le ministère chargé de l’agriculture. Leur élaboration, qui doit se faire dans le respect de la réglementation européenne elle-même en évolution, nécessite un pas de temps suffisant permettant d’assurer une large consultation de l’ensemble des parties prenantes.
La loi et prochainement ses décrets d’application sont les éléments essentiels du renforcement du dispositif de soutien à la recherche et l’innovation en France dans le domaine végétal, et de la protection intellectuelle qui permet de garantir l’équilibre des intérêts entre les différents acteurs tout en favorisant la sélection végétale.