A Rieux, l’Atelier Tudual-Hervieux & Jorj Botuha fait résonner la musique bretonne

Il demeure peu d’ateliers de bombardes et de cornemuses en Bretagne ; ils ont fermé au fil des années. Pourtant, l’un d’eux tient fermement, avec vigueur et passion. C’est l’Atelier Tudual-Hervieux & Jorj Botuha, ancien Atelier Hervieux et Glet, de Rieux. Né en 1981 de la rencontre de Gilbert Hervieux et d’Olivier Glet, il réunit aujourd’hui Gilbert Hervieux, en passe de prendre sa retraite, son fils Tudual Hervieux, et leur associé Jorj Botuha. Il est une référence dans les cercles des sonneurs de bombardes et des bagadoù des terres celtes, bretonnes comme britanniques.

Facteur de bombarde est un métier peu commun, mais un métier qui, à l’instar de la musique bretonne, évolue en permanence. Aujourd’hui, à Rieux, les siècles de tradition côtoient les nouveaux modes de communication ; le fils, Tudual, remplace peu à peu le père, Gilbert ; les cultures se mêlent et se répondent, et l’avenir se dessine sous de beaux auspices.

Une histoire qui naît à Lann Bihoué

Tout a commencé en 1978. Gilbert Hervieux et Olivier Glet font leur service militaire à Lann Bihoué. Tous deux joueurs de bombardes, ils se retrouvent au bagad, où ils se lient d’amitié. « On avait très envie de monter quelque chose ensemble, alors on s’est lancés. C’était au début des années 1980. Le revivalisme nous a beaucoup aidés ! Il y avait une vraie effervescence autour de la culture bretonne et une médiatisation qui faisait prendre conscience aux gens de la richesse de cette musique… C’était l’époque d’Alan Stivell, de Gilles Servat, de Dan Ar Braz… », raconte Gilbert. Il se lance dans l’aventure en autodidacte : musicien et issu d’une famille qui travaille le bois depuis trois générations, il se forme dans différentes écoles et ateliers avant de lancer son affaire avec son associé.

Son fils, Tudual, sait très jeune qu’il voudra faire le même métier que son père. « Quand j’étais enfant, je passais mes vacances dans l’atelier. C’était clair pour moi que je fabriquerais des instruments. Pourtant, je n’osais pas en parler : j’avais peur qu’on me dissuade. C’est un métier de niche où il est difficile de trouver un emploi. Je me suis décidé à l’annoncer en troisième, au moment de choisir un stage en entreprise : mon père a été ravi ! ».

Il passe deux ans au Royaume-Uni pour se former et rejoint son père en 2009, en tant que cogérant. Quand Olivier Glet part à la retraite, en 2017, il rachète ses parts. Puis en 2019, leur « concurrent et néanmoins ami » Jorj Bothua, qui officiait dans son atelier de lutherie à Auray, les rejoint, pour devenir « collègue et ami », et s’associer à l’entreprise. « L’idée de rejoindre l’atelier de Rieux a germé un soir de java, se souvient Jorj. Puis quand Gilbert a commencé à prévoir son départ à la retraite, il en a reparlé. Et cela s’est concrétisé. » Jorj est une sommité dans son domaine : son atelier de lutherie à Auray était l’un des plus renommés dans le monde de la musique bretonne et écossaise. Il est aussi le maître sonneur le plus titré de Bretagne.

Un atelier qui défie les siècles

L’atelier a tout d’une machine à remonter le temps. Ses trésors sont séculaires, et ceci n’a rien d’une image ou d’une exagération. Une bombarde naît de bois anciens. Dans le stock de l’atelier sont entreposés des carrelets d’ébène, de buis ou encore de bois de rose. « Certains buis sont des bois de 800 ans d’âge, séchés pendant 60 ans », explique Tudual. « On va débiter le bois, le pré-percer et le pré-tourner pour obtenir le corps de la bombarde, poursuit-il. Les machines que l’on utilise sont des machines que nous avons adaptées à notre travail : il n’existe rien de fabriqué spécifiquement pour la facture de bombardes. L’une d’elles date de 1916 et vient de Chicago. Elle a tourné des obus à Redon pendant la guerre… Le bois que nous utilisons est dur comme de l’acier, alors cela fonctionne bien. Nous avons aussi adapté une machine destinée à l’horlogerie suisse et une autre à l’aéronautique. Nous créons nos propres outils. » Puis vient le travail du cuir pour les poches de binioù et de cornemuse, de l’argenture, du polissage. L’instrument est intégralement fabriqué à Rieux, de manière artisanale.

Ce savoir-faire a été reconnu par l’État, qui a décerné à l’atelier le label « Entreprise du Patrimoine Vivant ». Il s’agit d’un savoir-faire d’autant plus précieux qu’il se transmet de bouche à oreille : il n’y a pas — ou peu — d’école, pour apprendre le métier, qui se perfectionne en atelier, avec une sensibilité musicale accrue et la passion du geste. Tous ont appris par eux-mêmes et par leurs pairs, à force d’expérience, de collectages, de recherches, de patience et de précision.

Des vocations et instruments qui se réinventent

Les facteurs de bombardes sont moins nombreux aujourd’hui qu’il y a 20 ans, mais ils sont toujours là, et à l’image de la musique traditionnelle bretonne, ils se renouvellent. « L’intérêt pour la bombarde, la cornemuse ou les bagadoù s’étend par vagues. Dès qu’il y a un coup de projecteur sur les cultures régionales, l’engouement reprend. Cela a été le cas, après Stivell et Dan Ar Braz, quand les écoles de musique ont été financées. Les jeunes ont voulu apprendre les musiques bretonnes. Plus récemment, les médias se sont intéressés au Bagad de Vannes et à Nolwenn Leroy : de même, cela a attiré de nouveaux musiciens », évoque Gilbert.

L’année 2020 aurait pu mettre un coup d’arrêt à l’atelier, mais il n’en est rien. « Nous étions à dix-huit mois de délais pour fabriquer un instrument, tant nous avions d’attente, et nous sommes passés à deux mois. Cela nous a donné le temps de nous consacrer à des projets que nous voulions mettre en place depuis longtemps. Nous avons mis au point une bombarde chromatique et avons développé de grandes bombardes (bombardes ténors) », mentionne Tudual. À cela s’est ajouté un nouveau volet, jamais (ou très peu) exploré par l’atelier : la communication. Un nouveau site web est en passe de voir le jour, et l’atelier partage désormais ses belles histoires, ainsi que quelques secrets de confection et autres anecdotes sur les réseaux sociaux (Facebook, Instagram). Il fera aussi, d’ici quelques mois, peau neuve, dans un nouveau site, physique cette fois-ci, plus spacieux et plus propice à accueillir du public.

 

Une certitude anime les trois hommes : leur métier, tout comme la musique bretonne, est un héritage, mais il a toute sa place dans le présent comme dans l’avenir. « La musique bretonne n’est pas un folklore qui se serait figé dans le temps. C’est une tradition qui n’a jamais cessé d’évoluer », souligne Gilbert. « La musique traditionnelle est un socle, qui amène vers d’autres cultures. Les va-et-vient avec le jazz, par exemple, et ce que l’on appelle les musiques du monde, sont permanents », ajoute Jorj. « On travaille avec beaucoup de musiciens, dans des styles très différents, y compris très contemporains. Notre clientèle vient de partout et nous faisons du sur-mesure », complète Tudual. La culture et la musique bretonnes sont bien vivantes. Aucun doute n’est permis !

En savoir plus : https://www.tudual-hervieux.com/

Photo

De gauche à droite : Jorj Botuha, Gilbert Hervieux, Paul Molac et Tudual Hervieux.

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