Élection des sénateurs : parité et pluralité renforcées
Je suis intervenu le mardi 23 juillet sur une modification du mode de scrutin des sénateurs.
Texte de l’intervention
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes aujourd’hui saisis
d’un projet de loi concernant la deuxième chambre de notre République, une haute assemblée dont la fonction même continue de faire débat.
Le Sénat, dans son essence, et surtout dans sa vocation d’assemblée représentative des collectivités territoriales, manque de légitimité. Parce qu’il a pour mission constitutionnelle de représenter ces collectivités, il répond à un régime électoral particulier, institué par l’article 24 de la Constitution : ses membres sont élus par un collège électoral, censé être l’émanation de ces collectivités et de leurs assemblées délibérantes, composé de représentants des communes, des départements et des régions. Quelque 150 000 grands électeurs élisent donc les 348 sénateurs, supposés représenter la nation dans son ensemble. Dans notre optique, ce choix des constituants de 1958 n’est pas allé au bout de la logique. Le général de Gaulle avait bien proposé par référendum en 1969 une réforme visant à fusionner le Sénat avec le Conseil économique et social. Il avait saisi que, dans sa forme d’origine, le Sénat ne répondait qu’imparfaitement aux mécanismes du bicamérisme.
Le Sénat ne représente les territoires que partiellement
Le Sénat, censé représenter les territoires, ne le fait que partiellement, à travers un double inconvénient : le suffrage indirect et la place prépondérante des communes dans son collège électoral __ près de 96 % des grands électeurs ! Cette composition n’a que peu varié, d’ailleurs, depuis la Troisième République. On ne peut que constater que les départements et les régions, qui ne représentent respectivement que 2,56 % et 1,19 % du collège ont un poids négligeable dans l’élection des sénateurs. Or, comme le souligne le rapport de la commission de rénovation de la déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin, « la surreprésentation écrasante des communes par rapport aux départements et aux régions ne se justifie plus dans le paysage institutionnel actuel, marqué par la place prise par les régions et les départements dans la mise en oeuvre des politiques publiques ». Pour mettre fin à ce que nous avons parfois appelé, au gré de notre histoire constitutionnelle, le Sénat conservateur, nous souscrivons à cette analyse.
Nous sommes, pour notre part, favorables à un Sénat des régions, élu au suffrage universel direct, à la proportionnelle, qui serait une véritable chambre haute des territoires. C’est d’ailleurs ce qu’a proposé notre excellent collègue François de Rugy, il y a quelques instants. Ses membres seraient directement élus dans les régions et auraient donc mandat de représenter leur territoire et leurs habitants. Sur le modèle du Bundesrat, le poids des régions pourrait y être légèrement pondéré pour tempérer les écarts de population, sans toutefois dénaturer la véritable mission du Sénat : représenter les territoires. Aux États-Unis, chaque État est représenté par deux sénateurs quel que soit sa taille. Ainsi le Wyoming, 536 000 habitants, est-il représenté par deux sénateurs, comme la Californie, qui en compte 37 millions. Nous ne sommes certes pas obligés d’aller jusqu’à ces extrémités…
Le projet de loi que nous examinons ne comprend évidemment pas de tels bouleversements, qui nous conduiraient vers une VIe République. Je ne comprends d’ailleurs pas les cris d’orfraie de l’opposition devant un texte qui ne propose in fine que de revenir sur un dispositif déjà voté par le Parlement sous le Gouvernement Jospin, puis supprimé par l’opposition revenue au pouvoir.
Une meilleure représentation et une amélioration de la parité
Les deux axes qui sous-tendent ce projet de loi sont une meilleure
représentation des populations et des courants politiques d’un côté, l’amélioration de la parité de l’autre. Sur le premier point, nous souscrivons au projet du Gouvernement, qui vise à abaisser le seuil de l’élection des sénateurs au scrutin proportionnel aux départements ayant au moins trois élus. Pour prendre d’ailleurs l’exemple du Morbihan, cela aura permis l’élection d’un sénateur de droite. Vous nous savez grands défenseurs du mode de scrutin proportionnel. Nous ne pouvons donc
que nous féliciter que son introduction entrouvre la porte à une meilleure représentation des courants politiques au Sénat. Elle permettra à la minorité des électeurs d’être représentée dans bon nombre de départements, alors qu’aujourd’hui il peut y avoir dans un département trois sénateurs monocolores, alors même que les candidats battus pèsent près de 50 % des voix.
Concernant l’augmentation du nombre de délégués pour les plus grandes communes, cela nous semble procéder du bon sens. On aura beau crier au tripatouillage électoral, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là de respecter le principe constitutionnel d’égalité devant le suffrage. Principe, sans doute contestable, mais que ni la droite ni la gauche non, à mon sens, l’intention de remettre en question.
Mais surtout, la très timide réforme proposée ne concernerait que 3 000 délégués
supplémentaires, sur un collège électoral de 158 000 personnes… pas de quoi faire basculer le Sénat ! On est bien loin du « ruralicide » décrit par nos collègues de l’opposition, et ce néologisme pourrait prêter à sourire s’il n’était un peu méprisant pour nos territoires ruraux, vus uniquement sous le prisme du nombre d’élus qu’ils peuvent rapporter à telle ou telle formation. La ruralité évolue, l’urbanité aussi, il est temps de le prendre en compte. Nous aurions toutefois aimé avoir quelques précisions sur les autres scénarios étudiés par le Gouvernement en dehors du seuil de 800 habitants à partir duquel il est rajouté un délégué par commune. Il nous semble en effet que nous aurions pu être plus audacieux, tout en se prémunissant contre les fourches caudines du Conseil constitutionnel. Face au très faible nombre de femmes élues à la chambre haute __ de l’ordre de 22 % seulement – l’abaissement du seuil d’application du scrutin proportionnel serait une avancée, puisque chaque liste de candidats aux élections sénatoriales doit comporter alternativement un homme et une femme. Il est vrai que nous avons toutefois quelques craintes sur l’efficacité d’un tel mécanisme pour obtenir une parité réelle. En effet, dans bon nombre de cas, les têtes de listes seront majoritairement des hommes et, dans les petits départements, ayant trois ou quatre élus, il est tout
à fait probable que seuls des sénateurs masculins soient élus, qu’ils soient de sensibilité politique différente, voire de même sensibilité, du fait de la formation de listes dissidentes permettant à certains partis politiques de se soustraire à la contrainte paritaire liée au scrutin proportionnel. Le Haut Conseil pour l’égalité entre les femmes et les hommes nous apprend d’ailleurs que c’est généralement le fait de sénateurs de droite…
La composition paritaire des listes de candidats pour la désignation des délégués des conseils municipaux et de leurs suppléants, ainsi que l’instauration de la contrainte paritaire dans la désignation des remplaçants des candidats aux élections sénatoriales dans les départements appliquant un scrutin majoritaire nous apparaissent également des, mesures positives.
Respectueux du travail de nos collègues sénateurs, à qui il appartient légitimement de se prononcer in fine sur leur régime, nous n’avons déposé aucun amendement.
Si nous avions dû le faire, nous aurions proposé, comme nos collègues
sénateurs du groupe écologiste, que 50% des têtes de liste présentés par chaque partis dans les départements où a lieu un scrutin de liste proportionnel, soient des femmes. Cela n’aurait pas empêché de nouvelles dérives, certains caciques préférant probablement se désolidariser momentanément de leur parti pour pouvoir être investis en tant que chef de liste sans étiquette, ce qui peut avoir des conséquences sur le financement des partis – je le dis car certains ont, me semble-t-il, quelque mal à boucler leur budget…
Il semble au final que nous devrions réfléchir d’avantage à ce problème nos deux assemblées, en envisageant, pourquoi pas, des sanctions au titre de la deuxième fraction des financements des partis politiques.
En ce qui concerne les autres mesures contenues dans ce texte, nous sommes favorables à l’intégration des sénateurs au collège électoral sénatorial, pour la simple et bonne raison que le dispositif actuel favorise les sénateurs cumulards, qui ont la possibilité de voter grâce à leur mandat local, ce qui n’est pas donné aux sénateurs non cumulards. Par ailleurs, l’obligation de présentation au premier tour pour les candidats au second tour des élections nous paraît tomber sous le sens. Il convient donc de mettre fin à la pratique inverse qui, pour n’être que peu utilisée, ne nous en laisse pas moins pantois tant elle semble archaïque.
Au final, ce projet de loi n’a rien de révolutionnaire. Il ne propose pas de redéfinir le rôle du Sénat, pas même de chambouler son corps électoral, mais il effectue un pas en avant en faveur d’une meilleure représentation des populations et des courants politiques, tout en constituant une avancée vers la parité. C’est pourquoi nous le voterons.