Musée de la Résistance en Bretagne à Saint-Marcel : des vies données pour la dignité humaine

Comment rendre hommage à des personnes, héros et héroïnes d’un passé proche, qui ont donné leur vie au nom de la liberté ? Comment « faire Histoire » ? Comment honorer les destins brisés par la guerre ? Les équipes du nouveau Musée de la Résistance en Bretagne ont fait le choix d’un lieu-hommage, d’un lieu-témoignage, d’un espace vibrant d’émotion où chaque bribe individuelle est une pièce maîtresse d’un grand puzzle. D’un grand puzzle qui est la Résistance. D’un grand puzzle dans lequel se dessinent notre présent et notre avenir. À Saint-Marcel, les lieux parlent et nous racontent leur histoire. Et si, justement, nous leur donnions la parole ? Et si nous laissions ce musée se raconter ?

 40 ans, trois vies et tellement à partager…

Les visiteurs d’aujourd’hui me connaissent dans ma troisième vie. Je dois ma naissance à un ancien maire de Saint-Marcel, Gilles Possémé. Il aimait parler de vies données pour la dignité humaine et voulait qu’un site symbolique rende hommage aux combattants du maquis. Je nais donc à la fin des années 1970 dans le bourg de mon petit village de Bretagne qui fut un haut lieu — et un lieu décisif ! — de la résistance régionale et nationale. Je suis là pour témoigner qu’ici, on a écrit l’Histoire, et que certains et certaines ont payé de leur existence leur engagement pour la liberté.

Je réunis d’abord des objets donnés et des morceaux de vie. Très vite, je suis apprécié et les acteurs locaux statuent que, pour remplir mon rôle de lieu de mémoire, il faut voir grand pour moi. En 1984, je prends place sur mon site actuel, qui est aussi au cœur de ce qui était autrefois le maquis de Saint-Marcel. Pour ceux qui me découvrent, le maquis de Saint-Marcel a été le plus grand maquis breton et le lieu du plus important parachutage de la France occupée. Il a été baptisé la « Petite France ». C’était un vrai village où vivaient environ 1 500 personnes soutenues par la population locale. Il a été une zone de résistance décisive qui a tenu les Allemands en échec. C’est tout cela que vous raconte entre mes murs et autour, dans un circuit commenté sur les sites marquants des combats.

Pendant 35 ans, j’accueille des visiteurs. Les premières décennies, je mène une vie bien remplie. Puis, les années passant, je commence à perdre en attractivité. L’indifférence et l’oubli me guettent. Or justement, si j’existe, c’est pour que personne n’oublie. Mes soutiens du premier jour et tous ceux que j’ai su rallier à ma cause font front ensemble. On ne me laissera pas tomber.

Ma raison d’être guide les débats. Je rassemble et je fédère. Je ferme mes portes, la mort dans l’âme, en 2019, mais confiant en un avenir meilleur. Je renais, deux années plus tard, en 2021, pour entamer une nouvelle vie, à la jonction du passé, du présent et du futur.

Je suis tous ceux et toutes celles qui ont fait l’histoire

Je suis ceux et celles qui m’ont fait naître et qui me font perdurer : mes fondateurs, les équipes grâce auxquelles je vis aujourd’hui, les visiteurs qui m’offrent une parenthèse de leur temps. Je suis toutes celles et tous ceux qui ont risqué leur vie pour que la France actuelle soit libre. Je suis la parole et l’incarnation de ceux et celles qui ne peuvent plus témoigner.

On m’a bâti avec du bois brûlé, symbole de la destruction totale dont Saint-Marcel a fait les frais pour avoir osé résister. L’Histoire que je veux vous raconter est incarnée, elle vous touche au cœur, comme elle a touché dans leur chair ceux qui l’ont vécue. C’est pour cela que je donne autant la parole à ses acteurs et actrices.

Dès votre entrée, je vous présente des visages. 60 résistants et résistantes. 60 personnes, tout comme vous, qui ont décidé de se battre, alors que rien ne les y destinait. Je vous livre leurs lettres, écrites à leur famille au moment où elles savaient que leur rébellion venait de leur coûter la vie. Je vous parle de violence et d’arbitraire, ordres de condamnation et d’exécution à l’appui. Je vous parle de vraies personnes. Je vous parle de cette illusion dans laquelle les Bretons ont vécu un temps : celle qu’ils ne seraient pas touchés par les combats. Je vous parle du million de réfugiés accueillis. Je vous parle de la stupéfaction de voir la Bretagne prise par les Allemands en moins d’une semaine. Je sors de l’anonymat ceux qui ont survécu et ceux qui ont péri, en leur offrant, à ma manière, l’immortalité. J’apporte l’apaisement aux familles des résistants en collectant leurs objets et en leur donnant leur place dans la mémoire collective. C’est ainsi que je fais passer à la postérité les mots de Joseph Pierre, jeune Breton engagé à 17 ans dans les Forces françaises libres, l’histoire de Marcel Brossier, le premier à avoir été exécuté « pour l’exemple » parce qu’il avait commis un sabotage, le dernier message de Jacques Bonsergent, qui n’avait que son col de chemise pour témoigner de sa fin imminente alors qu’il allait être fusillé. Il faudrait des heures pour parler de chacun d’eux. Je décris les faits et les chronologies, en rappelant toujours que, derrière les événements, il y a des vies humaines, des souffrances et des injustices.

J’amène la réflexion et l’interrogation par l’émotion, parce que je suis persuadé que c’est dans le cœur que tout se joue. Si je vous bouleverse, si je vous mets en alerte, si je touche quelque chose au fond de vous, c’est que j’ai accompli ma mission. L’Histoire s’écrit chaque jour, l’esprit de résistance est en chacun de nous, voilà ma conviction.

Aujourd’hui, le Musée de la Résistance en Bretagne célèbre ses 40 ans et commémorera en juin 2024 les 80 ans du Débarquement. 80 ans après les événements qui ont marqué le territoire et le pays, ce lieu unique continue de faire vivre le passé et de porter la parole d’anonymes comme de grands noms, d’habitants de la petite commune de Saint-Marcel comme de Bretons résistants des cinq départements.

En écho à la démarche du musée et pour conclure, voici, en parallèle, deux courts textes. Le premier est une lettre adressée par Louis Le Bail, ouvrier chauffagiste à Lanester, membre de l’Organisation secrète du Parti communiste clandestin.

Le second est un extrait du discours prononcé par le général de Gaulle à Saint-Marcel le 27 juillet 1947.

« Chère Mère,

Je ne compte pas beaucoup sur le recours en grâce même si je suis jeune. Avec les Allemands, c’est très sévère, il n’y a pas d’âge qui compte. Alors il ne faut pas que tu te tracasses pour moi. C’est moi qui l’ai voulu. J’ai lutté pour la libération de la France donc je suis fier de mourir, je meurs pour que ceux qui sont derrière moi jouissent du bonheur et de la liberté. Loulou »

« […] Ces caractères qui marquèrent l’effort de la Résistance, apparaissent, par excellence, dans le combat de Saint-Marcel. Le sang de nos soldats, qui a coulé sur la terre que nous foulons comme sur tous nos champs de bataille de la guerre, fut versé pour en témoigner. […] »

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