Raphaëlle Depret ou le goût de nourrir le corps comme l’esprit
Les Hautes-Alpes, la Réunion, la Bretagne. Étudier la géographie, cuisiner dans un gîte, se dédier à sa famille. Raphaëlle Depret vit d’expériences et de passions aussi diverses que complémentaires, qu’elle partage comme du bon pain. Dans chacun des territoires où elle a posé ses valises, elle s’est impliquée à sa manière : un livre, l’accueil de randonneurs et aujourd’hui l’éveil des enfants. À travers eux, elle a impulsé une dynamique nouvelle dans tout un territoire.
La bienveillance, pour faire aimer l’école
Arrivée en Bretagne en 2001, tout près de Brocéliande, elle s’est consacrée à ses filles puis s’est dirigée vers le concours d’institutrice en candidate libre. Son premier poste lui fait aborder l’enseignement spécialisé. Elle saisit l’opportunité et se forme afin d’aider les élèves en difficulté scolaire. « Je me suis aperçue que sortir les élèves d’une classe pour approfondir avec eux ne fonctionnait pas. » Comment mettre à part un élève pourrait-il faciliter son intégration dans la classe ?
De cette réflexion nait un investissement incroyable pour enseigner autrement. « Je ne peux pas prendre seulement les enfants en difficulté, tous ont droit à un temps de discussion, de réflexion. C’est important pour moi d’être ensemble, et de trouver une solution ensemble. » Quand un problème se pose, il est résolu dans l’écoute et le dialogue, toujours avec bienveillance. En guise de résultat, cette observation conjointe de ses collègues : « Ça change le climat scolaire, le regard sur l’école. On n’a plus d’élèves venant à l’école avec la boule au ventre, au contraire, ils aiment l’école ! » Ce à quoi Raphaëlle répond que c’est un travail conjoint : « J’ai des collègues en or et une équipe fantastique. » Des écoles donc, où règne le plaisir de travailler ensemble.
Comprendre, pour mieux apprendre
Raphaëlle n’est pas institutrice dans une seule classe. Elle intervient dans 6 écoles différentes : les quatre écoles du groupement Saint-Malo-des-trois-Fontaines, Ménéac, Mohon et La Trinité-Porhoët ainsi que les écoles de Concoret et Mauron.
Elle a mis en place des projets par classe : « Des projets où l’on n’exclut personne, et où chacun progresse à son rythme, grâce à son parcours personnalisé. Ainsi, on booste tous les élèves : les moins bons et les bons ! »
Intéressée par la thématique des neurosciences (l’étude du fonctionnement du cerveau), elle a étudié les intelligences multiples. Une clé supplémentaire pour favoriser l’apprentissage : certaines personnes retiennent mieux une information en l’écrivant, en l’entendant, en la voyant, d’autres en la chantant ou en l’accompagnant d’un mouvement. Pourquoi ne pas permettre aux enfants de déceler leurs points forts ? De découvrir leur fonctionnement ? « Dans les écoles du Porhoët, nous travaillons depuis 2012 avec les intelligences multiples. Les élèves sont pleinement acteurs de leur apprentissage. » Une méthode qui porte ses fruits : chaque année, les évaluations de septembre témoignent des acquis. Aussi et surtout, les élèves prennent goût à la connaissance. C’est avec fierté qu’ils partagent le fruit de leur travail et de leurs découvertes.
En 2012, ils étaient 200 élèves à monter sur scène dans une pièce de théâtre à Josselin ; en 2014, ils écrivaient un ouvrage, Pluie d’histoires sur la Bretagne, qu’ils dédicaçaient ensuite dans un salon du livre spécialement créé pour l’occasion ; en 2015, ils prenaient part à un congrès de jeunes chercheurs, se faisant, les uns aux autres, la démonstration de leurs découvertes.
S’impliquer dans la vie locale à travers les enfants
Pour 2016, le 30 avril, les enfants des écoles enseigneront à leurs parents le fonctionnement du cerveau. À quoi sert-il de bien dormir ? De se coucher tôt ? Comment gérer son stress ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles les scientifiques en herbe répondront. « Notre but est de toucher tout le monde : les enfants, les parents, les enseignants. Mon implication locale passe par les écoles, et c’est ainsi que l’on fait bouger les choses. « Avec Pluie d’histoires sur la Bretagne par exemple, on a fait entrer le livre dans les maisons. Dans certaines, il n’y en avait pas. » À cette même occasion, les enfants avaient rencontré des auteurs, des illustrateurs et un éditeur.
Du levain de la connaissance au levain du bon pain
Si Raphaëlle Depret a mis son grain de sel dans le grand pétrin de l’Éducation nationale, elle le fait aussi littéralement, puisqu’elle est bien connue hors du monde scolaire pour son pain. « Tous les vendredis, je suis boulangère. Le matin, je vends le pain au marché de Ploërmel et l’après-midi, je suis au fournil. » Car elle n’est pas la seule à avoir changé de vie…
Son compagnon, Éric, a quitté son poste d’informaticien dans une banque pour suivre une formation de boulanger. Il a construit son fournil à Guilliers et s’est lancé. Le pain Lembas, pain des elfes, est né. Un nom qui tient son inspiration des célèbres romans de Tolkien, Le seigneur des anneaux : « On raconte qu’une bouchée de ce pain permet de recouvrer ses forces et d’être pleinement rassasié. » Un univers légendaire en clin d’œil à la mystérieuse forêt de Brocéliande.
Cette vie multiple lui apporte une ouverture « que je n’aurais jamais eue si j’étais seulement à l’école. C’est une autre richesse que de faire plusieurs choses, et c’est très précieux. Au marché aussi, je fais de belles rencontres et d’autres liens se créent. »
Si l’adage dit que l’on ne peut être au four et au moulin, rien n’empêche Raphaëlle d’être à l’école et à la boulange, de malaxer la pâte d’un bon pain en devenir et d’ouvrir les esprits au goût d’apprendre. Encensée par les petits comme par les grands pour sa générosité, c’est avec un bonheur contagieux qu’elle propose en partage le pain du repas comme celui de la connaissance.