Explication de mon vote contre le projet de loi constitutionnelle sur l’état d’urgence et la déchéance de nationalité
Le mercredi 10 février j’ai voté contre le Projet de loi de constitutionnalisation de l’état d’urgence et la déchéance de nationalité. Mon opposition à ce projet était connue, comme je l’avais annoncé précédemment ici. Les modifications apportées à ce texte suite aux débats parlementaires, n’ont pas été de nature à lever mon incompréhension quant au bienfondé de cette réforme constitutionnelle.
Suite aux attentats de Paris, le Président de la République avait annoncé, en Congrès à Versailles, une série de mesures pour réagir au terrorisme effroyable auquel nous devons désormais faire face. J’ai apporté mon soutien à plusieurs des mesures annoncées et engagées, en premier lieu, la prolongation de l’état d’urgence pour une période de trois mois alors que les terroristes étaient prêts à commettre un nouvel attentat, notamment du côté du quartier d’affaires de la Défense à Paris. La décision d’instaurer l’état d’urgence, prise dès le soir de l’attentat a ainsi permis d’apporter, de manière provisoire, les réponses adaptées à l’imminence du risque : cela a contribué à la rapidité de l’enquête et à l’efficacité de l’action des forces de l’ordre. La question d’une nouvelle prolongation pour trois mois se posera à nous très vite puisque celle-ci doit se terminer le 26 février. Aussi, j’ai pleinement soutenu l’augmentation de milliers de postes dans la sécurité, le renseignement, les douanes et la justice : les moyens humains sont la meilleure arme face à la menace terroriste.
Mon état d’esprit est donc de trouver les moyens les plus efficaces pour nous protéger sans renoncer à notre mode de vie et à nos libertés. Il s’agit d’agir avec efficacité et discernement, de trouver la bonne riposte. Les terroristes espèrent un repli sur soi pour mieux nous diviser et nous affaiblir. Je ne veux pas tomber dans ce piège.
Ainsi, si je crois qu’il est de notre devoir quand des situations exceptionnelles l’imposent, de prendre des mesures exceptionnelles, qui n’ont donc pas vocation à durer pour assurer la sécurité de nos concitoyens, je considère que la constitutionnalisation de mesures d’exception va à l’encontre de cette logique. Notre droit est suffisamment fort pour lutter contre les barbares, et nous devons le leur montrer.
Cette révision constitutionnelle n’apportera strictement rien dans la lutte contre le fléau terroriste, et c’est là-dessus que nous attendent les citoyens. Ainsi l’article 1 est une reprise à l’identique des conditions et modalités de déclenchement de l’état d’urgence, tels que prévus par la loi de 1955. Il s’agit donc d’une constitutionnalisation de l’existant, le Conseil constitutionnel ayant même considéré le 22 décembre dernier que cette constitutionnalisation n’était pas indispensable. En effet, nous sommes sous état d’urgence bien que celui-ci ne soit pas encore dans la Constitution.
Si la nouvelle rédaction de l’article 1 sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence a permis l’introduction d’un contrôle parlementaire et d’une limitation dans le temps à maximum 4 mois de sa prorogation, plusieurs problèmes subsistent. En premier lieu, il n’est nullement inscrit que les mesures prises par les autorités de police devront obligatoirement avoir un lien direct avec les motifs pour lesquels l’état d’urgence a été déclaré, ce qui est problématique comme l’ont montré des procédures abusives notamment contre des militants écologistes, associatifs ou politiques. L’absence du juge judiciaire des procédures de police, garant de nos libertés individuelle, est désormais constitutionnalisée. On évacue ainsi définitivement la possibilité pour le juge judiciaire d’intervenir. De même, la loi qui fixera les modalités de l’état d’urgence sera simple et non organique, elle pourra donc être adoptée avec des conditions de majorités plus faibles et il n’y aura pas de contrôle de constitutionnalité systématique.
Concernant l’article 2, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité est une mesure purement symbolique qui n’apporterait strictement rien dans la lutte contre le terrorisme. Au contraire, elle pourrait alimenter la martyrologie et créerait davantage de difficultés puisque dans l’immense majorité des cas, une personne déchue de sa nationalité ne peut pas être expulsée. J’ai d’ailleurs du mal à comprendre pourquoi les pays de l’autre nationalité du terroriste devraient les récupérer. Les terroristes ne sont pas plus acceptables à l’étranger qu’en France. Comme je le disais déjà en janvier, c’est aussi une manière de se défausser sur l’origine des terroristes, dont l’une des nationalités étrangères est mise en exergue pour mieux occulter le fait qu’ils sont bel et bien un pur produit de la société française, y étant nés, y ayant grandis, y ayant été à l’école de la République, y ayant tout simplement vécu la grande majorité de leur vie.
Si à la suite des débats, il ne sera plus fait référence aux binationaux, cela rend possible la déchéance d’un Français n’ayant pas d’autre nationalité et ainsi la création d’apatrides. Je m’inquiète aussi de ce que recouvre précisément la notion « de crime ou délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation », qui pourrait aboutir à une déchéance de nationalité. Au-delà du fait que l’atteinte grave à la vie de la Nation peut être très diversement appréciée par les autorités, son extension aux délits, comme réclamé par la droite, me paraît extraordinairement excessif. Actuellement, pour un délit, la peine de prison n’est pas obligatoirement prononcée, et un délit peut être sanctionné par une amende, un stage de citoyenneté, une peine de travail d’intérêt général. Y ajouter la possibilité d’une déchéance de nationalité me paraît totalement disproportionné.
Au final, j’ai du mal à comprendre tout ce battage qui met en ébullition le milieu médiatico-politique parisiano-centré tant la nécessité et l’efficacité d’une telle réforme de la Constitution sont quasiment nulles. En effet, tout cela peut, et est déjà en partie réglé par la loi. Alors que nous avons besoin de nous rassembler autour des valeurs de démocratie et de solidarité, ce débat a déjà eu un effet totalement inverse, en mettant en exergue des oppositions déraisonnées et nous détournant de notre objectif ultime : préserver notre démocratie républicaine et lutter avec détermination contre le terrorisme.