Hyperconcentration des crédits du Ministère de la Culture en Île-de-France : une fatalité ?

Ce lundi, nous avons débattu autour de la question de l’hyperconcentration des crédits culture de l’Etat au sein de la Région Île-de-France. Parmi toutes les discriminations territoriales que nous subissons en France du fait de la centralisation, celle-ci est particulièrement criante : en effet, l’Etat dépense chaque l’équivalent de 195€ par habitant en Île-de-France contre seulement 20€ par habitant en Bretagne adminstrative (et 24€ en moyenne au sein des autres régions).

Un exemple simple permet de se rendre compte de cette aberration : quand le musée du Louvre à Paris bénéficie d’un financement à 100% de l’Etat (sans crédit de la part de la ville de Paris ou la région Île-de-France), le Louvre-Lens inauguré en 2012 n’a été financé qu’à hauteur de 1% par l’Etat, tout le reste ayant été versé par les collectivités locales et l’Union européenne.

Ce débat, auquel la Ministre de la Culture a pu intervenir, me laisse un goût d’inachevé. La Ministre, a en effet justifié cet état de fait. Pourtant, l’accès à la culture doit bien être accessible à tous, et non seulement à une mince catégorie d’individus.

Je vous propose de retrouver ci-dessous un extrait vidéo de mon intervention ainsi que la version longue, puis le contenu intégral de mon propos.

 

Version courte

Version longue

Contenu de l’intervention

Permettez-moi tout d’abord de remercier les députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires d’avoir choisi d’inscrire à l’ordre du jour de cette semaine de contrôle un débat sur l’hyperconcentration des dépenses du ministère de la culture en Île-de-France. C’est un thème qui nous est cher : en effet, si la centralisation induit de nombreuses disparités socio-économiques, en matière d’éducation, d’accès aux transports et aux soins, ou encore de services publics, ce mal bien français concerne également l’accès à la culture pour l’ensemble des concitoyens et la valorisation de notre patrimoine.
Même si cela n’a pas toujours été le cas, on a aujourd’hui coutume de dire que la France est un pays riche de sa diversité. Notre patrimoine matériel et immatériel est immense et varié. Ce formidable héritage, que nous avons su conserver et valoriser – dans un certain nombre de cas, du moins –, nous le devons à notre histoire, mais aussi à des cultures vivantes et diversifiées, entretenues par les habitants. Cela vaut pour nos monuments, pour les œuvres artistiques, mais aussi – c’est un point qui me tient particulièrement à cœur – pour nos langues et cultures, que l’État a parfois tenté d’annihiler par le passé.


La seule bonne volonté des habitants ou des collectivités territoriales ne peut cependant suffire : si l’on ne saurait refuser l’apport de mécènes ou de philanthropes, le concours de la puissance publique est indispensable pour éviter que ces richesses ne disparaissent. D’ailleurs, la valorisation de la culture ne saurait reposer exclusivement sur l’investissement des bénévoles, dont je salue l’action. Ils sont fort nombreux dans toute la France, qui œuvrent avec pugnacité à l’organisation de différents festivals à travers diverses associations. Notre patrimoine paraît parfois en péril : le cri d’alarme de Stéphane Bern comme les alertes des élus locaux en sont un signe. Si l’intégration des œuvres culturelles au secteur marchand peut permettre la valorisation économique nécessaire à leur propre entretien et leur restauration, la culture reste un secteur fragile par essence, dont la conservation et l’amélioration nécessitent à la fois de l’attention et des investissements – c’est précisément le rôle de la puissance publique.


Or la centralisation de notre pays renforce la concentration des richesses et des investissements à Paris et dans sa région. La culture en est un exemple assez caricatural. Prenons les monuments nationaux : le Louvre, le musée d’Orsay, les opéras et grands théâtres sont très majoritairement concentrés dans une toute petite superficie du territoire national.

S’il est bien entendu nécessaire que ces structures exceptionnelles puissent accueillir un public le plus large possible, comment expliquer à un jeune qui vit à 600 kilomètres de Paris et n’a accès à aucune d’elles en raison de leur éloignement que les jeunes vivant en région parisienne peuvent les visiter gratuitement s’ils ont moins de 26 ans ? Les réalités géographiques rendent les choses un peu compliquées pour certains.


Comment expliquer, aussi, que les grandes chaînes publiques de télévision et de radio soient toutes concentrées dans la capitale, les antennes de France 3 ou France Bleu dans nos territoires ne disposant, en comparaison, que de peu de moyens ? Il suffit d’ailleurs de regarder le journal de vingt heures pour s’en convaincre : en fond figure une vue de Paris – comme si la capitale représentait à elle seule le journal national ! Parfois, j’ai du mal à m’y retrouver : je me demande s’il s’agit vraiment d’un journal national, ou plutôt du journal de France 3 Île-de-France. Le traitement de l’information qui y est fait me contrarie également – même si cela dépasse un peu le cadre de notre débat ce soir : bien souvent, j’ai l’impression qu’il s’agit surtout de relayer la vision des Parisiens sur le reste de la France, sur l’Europe et sur le monde.


Venons-en aux chiffres, car ceux-là sont implacables, sinon sidérants : selon ceux du ministère de la culture, actuellement disponibles en open data, l’État dépense en moyenne 195 euros par habitant en Île-de-France en matière culturelle, contre seulement 20 euros en Bretagne administrative, soit presque dix fois moins ! En moyenne, l’État ne dépense que 24 euros par Français ne résidant pas en Île-de-France – et même à peine 10 euros pour les Mahorais. Comme quoi, au pays de l’égalité, certains sont plus égaux que d’autres.


Je serai donc très attentif aux explications de la ministre s’agissant de cette différence. Lors de la précédente législature, le Gouvernement m’avait expliqué, en réponse à une de mes questions écrites, que l’implantation majoritairement parisienne des établissements publics nationaux avait pour effet de surreprésenter le montant des dépenses culturelles du ministère de la culture et de la communication dans la région Île-de-France. Une réponse qui m’avait particulièrement surpris : cette implantation ne serait-elle donc qu’une fatalité, pour reprendre le titre de notre débat ?


À mes yeux, elle découle avant tout de décisions politiques : rien ne peut justifier l’hyperconcentration des dépenses dans la région capitale, d’autant que c’est bien le budget de l’État, et non celui de la région Île-de-France, ni même celui de la Ville de Paris, qui est majoritairement utilisé pour faire fonctionner ces structures, dont la qualité n’est d’ailleurs remise en cause par personne. Aujourd’hui, 67 % des crédits du ministère de la culture affectés au seul patrimoine sont ainsi investis en Île-de-France : c’est considérable et, il faut bien le dire, un peu injuste.


Une plus juste péréquation dans l’affectation des crédits est nécessaire : à ce propos, je suis favorable à un réel transfert des compétences et des moyens afférents vers les régions, ce qui permettrait d’assurer davantage d’équité. Laissez-moi évoquer un chiffre qui parlera à tous : le Louvre-Lens, inauguré en grande pompe en 2012, a été financé à hauteur de seulement 1 % par l’État, le reste ayant été pris en charge par les collectivités locales et l’Union européenne. Le musée du même nom à Paris, lui, est pourtant financé à 100 % par l’État. Peut-on réellement parler de justice ? Qu’est-ce qui justifie cette différence de traitement ? Autre exemple : l’opéra de Bordeaux n’est financé par l’État qu’à hauteur de 21 %, soit bien moins que les deux opéras de Paris. Tout laisse à croire qu’aujourd’hui, dans notre pays, si l’on souhaite accéder à la culture et à la création culturelle, il faut habiter à Paris. Si mon assertion ne saurait être parfaitement exacte, puisqu’elle tendrait à minimiser l’ampleur de la création culturelle dans nos territoires et la richesse de notre patrimoine matériel et immatériel, elle traduit tout de même une forme d’injustice territoriale en matière d’actions et d’investissements dans le secteur culturel en France.


Autre thème qui me tient à cœur : la protection patrimoniale des langues régionales. Depuis son adoption à l’Assemblée nationale en avril 2021 et sa promulgation le 21 mai 2021, la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, a conféré aux langues régionales et langues de France le statut de trésors nationaux. L’article L. 1 du code du patrimoine dispose d’ailleurs désormais que « l’État et les collectivités territoriales concourent à l’enseignement, à la diffusion et à la promotion de ces langues. » Mais, près de deux ans plus tard et malgré la modification du code du patrimoine, je ne constate aucune avancée substantielle en la matière, alors même que l’Unesco a indiqué qu’une grave menace d’extinction planait sur une très large majorité de nos langues. La mission de protection et de valorisation de l’État concerne toutes les langues de France, et ne saurait se limiter uniquement à la langue française.


Je ne peux terminer mon propos sans évoquer la situation des événements estivaux – notamment les festivals –, qui seront lourdement affectés par la tenue des Jeux olympiques à l’été 2024, lesquels se dérouleront – cela ne vous aura pas échappé – à Paris. Je note d’ailleurs en passant que c’est la troisième fois que la France accueille les Jeux olympiques d’été, et que c’est aussi la troisième fois qu’ils se déroulent à Paris… En raison de la mobilisation des forces de sécurité autour de cet événement, des spectacles qui ont pourtant lieu chaque été ont été contraints de se réorganiser, de modifier leur calendrier ou leur durée. Or, si des accords ont déjà pu être trouvés avec les grands festivals, l’inquiétude demeure pour les plus petites structures. Vous comprendrez donc aisément le malaise qui monte dans nos territoires : tous les événements culturels régionaux sont tenus de s’adapter à un événement sportif mondial qui se tient, une fois de plus, à Paris.


En définitive, une politique de rééquilibrage entre l’Île-de-France et les autres régions est désormais nécessaire, et des actes forts sont attendus pour résorber cette profonde injustice territoriale. Si des raisons historiques peuvent expliquer ces inégalités, nous ne pouvons comprendre que ces dernières puissent perdurer : il ne tient donc qu’à vous, madame la ministre, d’inverser la tendance pour que tous les citoyens de ce pays puissent se sentir réellement égaux.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.