Josselin. Patrice Dréano, amoureux du gallo : « s’il y a une grammaire, c’est une langue ! »

Patrice Dréano est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le gallo – grammaire, dictionnaire bilingue, recueil d’expressions -, traducteur, éditeur et co-fondateur de l’Académie du gallo. Enfant, jeune homme et aujourd’hui retraité, ce Josselinais né à la frontière entre les territoires gallésants et bretonnants s’est passionné tout au long de sa vie pour cette langue qui l’a bercé. Il contribue, depuis des décennies, à faire vivre le gallo comme une langue à part entière, moderne et vivante.

Une histoire de rivière… et d’accents !

Patrice baigne dans le parler gallo depuis qu’il est enfant. C’est une rivière qui, en premier, a attiré son attention sur cette langue et sur cet accent qui différaient d’une rive à l’autre. Patrice a grandi à Crédin, à la limite du pays gallésant et du pays bretonnant, et donc des deux langues. « Très tôt, j’ai eu conscience qu’il y avait une différence culturelle. De l’autre côté de la rivière, ils ne parlaient pas comme nous. Bien sûr, nous échangions en français, mais avec des accents complètement différents. »

La frontière géographique entre les deux parlers est ténue : « En bas de chez moi, il y avait une ferme. La sœur de la femme qui y vivait était mariée à un Bretonnant et habitait 500 mètres plus loin, après la rivière. Leurs enfants, qui étaient cousins, ont donc grandi dans un environnement linguistique différent et les uns s’adressaient aux autres en disant: “Vous parlez drôlement !” »

Quelques années plus tard, il est à nouveau titillé par ses observations. Il est scolarisé au collège de Pontivy, en pays bretonnant. « Ayant toujours vécu dans la campagne, j’avais pensé que tout le monde parlait patois. C’est à 15 ans que j’ai découvert qu’il existait une Haute-Bretagne, où l’on parlait gallo, et une Basse-Bretagne, où l’on parlait breton. »

Adolescent puis jeune adulte dans les années 1970, en plein cœur du renouveau breton porté par des personnalités comme Glenmor, Gilles Servat ou encore Alan Stivell, il prend conscience de sa culture bretonne. Cependant, ce qui crée vraiment un déclic chez lui, c’est de réaliser que le gallo n’est pas un parler patois, mais bel et bien une langue.

Le gallo n’est pas un français déformé

« C’est en discutant avec un ancien, une personne très cultivée, que j’ai pris conscience que le gallo avait une grammaire propre. Là, je me suis dit : s’il y a une grammaire, c’est que c’est réellement une langue, et pas un français déformé. »

À la même époque, le mouvement culturel gallo s’affirme, avec notamment la création de l’association « Les amis du parler gallo ». « C’est là que je suis vraiment entré dans le mouvement gallo. » Pendant plusieurs années, Patrice collecte des chants traditionnels et du vocabulaire. Il écrit des nouvelles en gallo.

Puis d’autres activités prennent le pas, jusqu’à ce qu’il remette le nez dans le gallo, dans les années 1990, avec le projet de traduire à plusieurs l’album des Aventures de Tintin, L’île Noire, en gallo, qui devient Les équeroueys à Tintin, Sus l’Ile Naire. Ses recherches et pérégrinations, ainsi que sa perception de la langue gallèse le conduisent à continuer sa quête en toute indépendance. « Je prenais de plus en plus de notes sur la grammaire du gallo. J’avais compilé un grand nombre de règles, que je voulais mettre en forme. Un éditeur m’a proposé de les publier en livre. »

En 2005, paraît le premier livre de Patrice consacré au gallo : Grammaire du gallo, aux éditions Label LN. Sans doute l’aventure éditoriale et le partage de connaissances qu’elle rend possible lui plaît, car, en juin 2010, il publie à nouveau un projet d’envergure, chez le même éditeur : le Motier de pouchette Galo-Françaez /Françaez-galo, ou, autrement dit, le Dictionnaire de poche (« pour grandes poches », précise-t-il), Gallo-Français /Français-Gallo. En 2016, il fait paraître un recueil d’expressions en gallo, Come il dizent par cez nouz, recensant quelque 2000 expressions (toujours chez Label LN). La même année, il est contacté par un autre passionné de gallo, Denis Lefeuvre, qui, tout comme lui, veut agir pour la préservation et la valorisation de cette langue, mais aussi de la culture, de l’histoire et des modes de pensée qui s’y rattachent. Ensemble, ils créent l’Academiy du galo (Académie du gallo). « Attention, ce n’est pas une académie au sens d’une élite qui statue sur ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Il s’agit moins de normaliser que de faire remonter des usages, des parlers, de recenser… »

Faire du gallo une langue moderne

Avec l’Academiy du galo, l’objectif de Patrice est « d’amener le gallo au statut de langue moderne ». Le site web academie-du-gallo.bzh met à disposition une base d’apprentissage libre et gratuite du gallo pour les particuliers, compile des références normalisées pour faciliter l’utilisation et le développement du gallo, et offre un espace où chaque personne peut apporter sa contribution

À travers cet outil et dans l’esprit de la diffusion du gallo, Patrice poursuit ses actions littéraires en traduisant des livres ou extraits de livres. On retrouve ainsi, sur le site, une traduction d’un passage de La Peste, de Camus, en gallo, des Misérables, de Hugo, ou des traductions faites directement depuis l’anglais, avec un extrait des Hauts de Hurlevent, d’Emily Bontë, ou de Sur la route, de Jack Kerouac. « C’est même parfois plus facile de traduire l’anglais en gallo, car il y a des constructions semblables, qui n’existent pas en français. » Enfin, pour que le gallo vive, il lui fallait une littérature propre. En 2019, Patrice a donc co-créé une maison d’édition associative spécialisée, qui publie exclusivement des textes en langue gallèse. « Je me suis dit qu’il manquait une littérature en gallo. » Elle est baptisée « Olepei » (que l’on pourrait traduire littéralement par « Vers le haut »). Deux livres sont actuellement parus, avec une impression 100 % locale, puisque c’est l’imprimeur josselinais Poisneuf qui a été sollicité. D’autres sont à venir chez Olepei, ainsi qu’à terme une nouvelle édition de la Grammaire du gallo, en quatre tomes, revue, corrigée et augmentée.

Ce que Patrice veut partager, c’est qu’au-delà d’une langue, le gallo est un état d’esprit et une façon de dire le monde. Plonger dans son dictionnaire bilingue ou dans son recueil d’expressions idiomatiques est, pour qui ne connaît pas cette langue, une autre manière de découvrir la culture locale ancestrale. Pour qui la comprend et la parle, c’est une manière de la garder bien vivante et surtout, de la faire perdurer.

En savoir plus :

L’Académie du gallo : www.academie-du-gallo.bzh

La maison d’édition Olepei : https://www.olepei.com/

Les éditions Label LN : http://www.editions-label-ln.com/

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