Lutte contre l’accaparement des terres agricoles

Le 18 janvier je suis intervenu dans l’hémicycle sur la proposition de loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles. Après mon intervention de la semaine dernière en commission, et ma question au Gouvernement du 11 mai dernier, j’ai cette fois ci pris le temps d’expliquer l’importance stratégique de la maîtrise du foncier agricole pour la puissance publique mais également pour les agriculteurs eux-mêmes.

M. Paul Molac. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la propriété du sol a toujours été un instrument de domination économique et sociale. Sous l’Ancien régime, elle était détenue par le clergé et la noblesse ; les agriculteurs n’étaient que des faire-valoir. Il a fallu attendre la Révolution française pour que les choses commencent à évoluer et que l’agriculteur devienne petit à petit propriétaire de sa terre. C’était à l’époque une demande très importante. Les régions où les agriculteurs sont devenus propriétaires sont d’ailleurs restées fidèles à la Révolution, alors que dans celles où ils n’ont pu accéder à cette propriété du sol, ils sont entrés dans l’anti-Révolution. C’est le cas de la Bretagne, où la majorité des biens nationaux ont été achetés par des bourgeois, et en particulier des bourgeois des villes. Les agriculteurs bretons sont ainsi passés de la domination de la noblesse et du clergé à celle de la bourgeoisie ; cela explique la chouannerie.

M. Eric Straumann. Belle explication !

M. Paul Molac. Au cours du dix-neuvième siècle, les agriculteurs – pas tous – sont progressivement devenus propriétaires. La loi sur le fermage de 1946 apparaît dès lors comme une libération. Auparavant, tous les agriculteurs pouvaient être évincés de la terre qu’ils cultivaient à la Saint Michel ; le fermage ne durait qu’un an, ce qui empêchait tout investissement. Il a fallu attendre la réforme de Tanguy-Prigent, qui nous a permis – en particulier en Bretagne, grande région agricole comme chacun sait – de pouvoir investir grâce à des baux de neuf ans reconductibles, le propriétaire ne pouvant reprendre sa terre que pour l’exploiter lui-même. C’était là protéger l’exploitant.

À ces outils sont venus s’ajouter les SAFER – vous en avez parlé. Dans ce modèle agricole familial, le paysan contrôle les investissements et décide lui-même d’un certain nombre de choix – chez nous, cela a été celui de l’élevage, qui nous a permis de conserver une population importante et une vitalité des campagnes. Cette vitalité, cette diversité, avec les appellations d’origine contrôlée, avec une agriculture qui peut être biologique, mais qui est toujours productive à l’hectare, en tout cas bien plus que dans certaines régions, cette agriculture ancrée dans nos territoires, avec à la fois des circuits courts et des circuits longs, c’est le socle de notre développement rural. Vous comprendrez donc que j’y sois particulièrement attaché.

Ce type d’agriculture repose bien entendu sur des outils, parmi lesquels le contrôle du foncier. Nous l’avons vu, il y a des failles puisque des fonds spéculatifs ont pu acquérir un certain nombre de terres. Cela pose le problème du devenir de l’agriculteur : peut-il conserver son indépendance, ou n’a-t-il d’autre choix que de devenir le tâcheron de ces grandes multinationales, qui peuvent très bien reprendre les terres pour les exploiter elles-mêmes à des fins d’exportation ? Ce n’est pas simplement de l’ordre de la pensée : en Afrique, certaines cultures spéculatives prennent la place des cultures vivrières ; au dix-neuvième siècle, la crise de la pomme de terre n’a pas empêché les grands propriétaires anglais qui possédaient des exploitations dans l’est de l’Irlande de continuer à exporter du blé vers l’Angleterre, tandis que l’Irlande voyait sa population baisser de moitié, passant de 6 à 3 millions d’habitants à une période où la plupart des pays européens voyaient la leur multipliée par deux, par trois ou par quatre. Bref, la souveraineté alimentaire a son importance.

Je tiens à remercier M. le ministre. Tu es un bon ministre, Stéphane ! je te l’ai déjà dit, et chacun sait que quand j’ai quelque chose à dire, je le dis sans détours. Il était en effet de bon aloi de revenir sur le sujet, avec l’article 1er, qui impose l’obligation de passer par une société de portage et réintroduit le droit de préemption et de portage pour les SAFER. Cela me paraît particulièrement important.

La profession est à peu près d’accord, à une petite désunion syndicale près – mais très légère. Néanmoins, je comprends bien les réserves de certains de mes collègues, en particulier Antoine Herth. Certes, nous n’aurons pas réglé tout le problème du foncier pour autant, mais du moins aurons-nous réglé celui des fonds spéculatifs. C’était important. Reste celui des groupements fonciers agricoles, les GFA, mais cela fera l’objet d’une autre loi.

M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.

M. Paul Molac. On peut en effet très bien imaginer que la terre agricole soit financée par du crowdfunding, par des fonds citoyens, ou tout simplement par des familles constituant un GFA. Néanmoins, cette première étape me semble importante.

Je conclus, monsieur le président.

M. le président. Ce serait bien, monsieur Molac. (Sourires)

M. Paul Molac. Ce texte va dans le bon sens. Il permet de s’adapter et de préserver notre modèle agricole et notre modèle de développement rural, auquel, vous le savez, je suis particulièrement attaché. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

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