Réforme des collectivités : une réelle déception

Ce texte n’est pas celui que nous attendions. Tout d’abord, à vrai dire, nous n’en attentions pas trois ! De fait, le découpage du texte initial en trois parties ne permet pas de faire émerger une vision globale de la réforme territoriale que nous devons mener.

Un projet de loi loin du discours du candidat Hollande à Dijon

Nous référant au discours prononcé à Dijon par celui qui n’était pas encore Président de la République, François Hollande, nous attendions une réforme portant sur la régionalisation. Nous attendions un texte dans lequel la région deviendrait la pierre angulaire de notre architecture administrative. Nous devons vous dire que, de ce point de vue, nous sommes déçus. À notre avis en effet, aucun véritable choix n’est fait entre une architecture administrative issue du XVIIIe siècle, basée sur la commune et le département, et une autre, moderne, datant de la fin du XXe siècle, basée sur les communautés de communes et les régions, face aux défis de l’action territoriale.
Le millefeuille que nous connaissons ne sera donc pas simplifié par ce texte, à notre grand regret. On ne retrouve pas l’audace des lois Defferre de 1982. Ce projet de loi n’emprunte pas suffisamment la voie entrouverte par la révision constitutionnelle de 2003, consacrant le caractère décentralisé de l’organisation de la République.

Nous ne sommes donc pas surpris par les dernières déclarations publiques du Gouvernement sur le sujet. Elles nous ont alertés : il ne s’agit plus de l’« acte III de la décentralisation », qui avait été dans un premier temps présenté comme la « mère des réformes ». Toujours au cours du même discours, à Dijon, le futur Président de la République estimait pourtant qu’il fallait « accepter notre diversité territoriale » et faire en sorte que « les régions puissent disposer d’un pouvoir réglementaire leur permettant d’adapter la loi nationale aux réalités du territoire ». Au lieu de cela, nous avons droit à un projet de loi dont nous avons vite compris la véritable ambition lorsqu’on nous a dit que l’innovation, c’est la création des métropoles. C’est aussi ce que voulait faire Sarkozy !

En réalité, en créant les métropoles, nous alourdissons encore le millefeuille territorial, sans clarifier les compétences là où c’est pourtant nécessaire. Je le dis également pour nos collègues de droite : il semble bien que ce soit un mal français. La réforme lancée par M. Nicolas Sarkozy en 2010 opérait un vaste mouvement de recentralisation. Elle avait inventé un conseiller territorial hybride, censé réaliser la synthèse que le législateur n’avait su trouver entre le département et la région. La réforme fiscale qui l’accompagnait a en outre placé les collectivités locales sous la tutelle de l’État, en réduisant considérablement leur autonomie budgétaire. Certaines régions riches se retrouvaient traitées comme des régions pauvres, et des régions pauvres contribuaient à soutenir des régions riches.

Enfin, en guise de simplification, un nouvel échelon avait été créé au profit des grandes agglomérations : les métropoles. Avec ce projet de loi, c’est aujourd’hui cet échelon que l’on nous demande de sanctuariser, alors qu’en tant que défenseurs d’un fédéralisme différencié nous attendions que cela fût la région.

Une France à contre courant ?

Un constat s’impose pourtant : tous les États d’Europe de l’Ouest de taille comparable à la France ont adopté un système fédéral, soit en donnant à toutes les régions la possibilité de participer au processus normatif dans son entier, comme c’est le cas en Allemagne, soit au moyen d’un système différencié d’autonomie régionale qui peut s’appliquer à l’ensemble du territoire, comme c’est le cas en Espagne et en Italie, soit encore en donnant à des collectivités des pouvoirs particuliers, comme c’est le cas en Écosse et au Pays de Galle dans le cas du Royaume-Uni.

Il est bon de rappeler ce qui est à l’œuvre chez nos voisins : la région y partage avec l’État le pouvoir normatif, et les assemblées ou parlements régionaux s’imposent en droit et en fait aux autres niveaux de collectivités, y compris les métropoles, sans que cela ne soulève de contestation. Munich, capitale de la Bavière ne conteste aucunement la prééminence du Land. De même Barcelone ne conteste pas l’autorité de la Generalitat de Catalogne. Qu’en est-il à Lyon ou à Paris ? Ces comparaisons permettent de mesurer à quel point l’épouvantail du régionalisme ne peut effrayer que ceux qui y ont intérêt, souvent au nom de la défense du pré carré des notables ou d’ambitions métropolitaines qui confondent intérêts particuliers et intérêt général.

Notre position fédéraliste comprend le renforcement des outils de péréquation fiscale et de solidarité, à l’image de ce qui se passe dans les États fédéraux où les régions riches participent au développement des régions pauvres. Le grand problème de la France d’aujourd’hui, c’est son incapacité à assurer une répartition équilibrée des activités et des services publics – et donc des hommes – sur son territoire. L’État donne quatre fois plus de dotations par habitant à Paris ou à Marseille qu’à une commune de 500 habitants. C’est la vraie cause de la désunion française. Si l’État doit, plus que jamais, retrouver son rôle de garant de l’égalité et de la justice sociale, la sortie de crise impose aussi de libérer les capacités d’initiatives régionales et locales. Il s’agit d’aboutir à une relocalisation de l’économie, intégrant la dimension écologique et refusant la mise en concurrence libérale des territoires dans laquelle s’inscrivait la métropolisation.

Les métropoles doivent s’inscrire dans la solidarité territoriale

Cependant, être contre une certaine forme de métropolisation ne veut pas dire être contre les métropoles. En effet, nous ne nous reconnaissons pas dans cette politique qui confond d’un côté la métropolisation, c’est-à-dire la concentration géographique des populations, des fonctions de commandement, des richesses et des emplois les plus qualifiés, et d’un autre côté le développement des fonctions métropolitaines. Pour nous, les fonctions métropolitaines doivent être pensées et organisées au niveau de la région, afin qu’elles irriguent l’ensemble du territoire. Le fait métropolitain doit permettre d’organiser des fonctions essentielles pour l’attractivité économique tandis que le fait régional doit assurer une juste répartition des richesses et des services publics sur le territoire.

Ce que nous défendons, c’est que ces fonctions doivent servir l’ensemble du territoire : toutes les collectivités locales doivent y participer et en bénéficier. Nous ne voyons pas de place pour ce qui pourrait s’apparenter à du darwinisme territorial, à l’échelle mondiale ou nationale, comme le voulait l’ancienne majorité. C’est pourquoi nous accueillons favorablement la réactivation des pays sous la forme des pôles ruraux d’aménagement et de coopération. Ils constitueront un socle structurant pour l’aménagement du territoire par les régions. Mais pour nous, il n’est pas question d’opposer d’un côté les régions et de l’autre les villes et métropoles. Il s’agit au contraire d’affirmer que les régions ont besoin de leurs grandes villes, comme les grandes villes ont besoin de leur région. C’est tout simplement ce que nous appelons l’aménagement du territoire.

Nous serons toutefois vigilants à ce que ce statut de métropole n’autorise pas les agglomérations concernées à piloter leurs propres politiques sans être tenues de prendre en compte les schémas régionaux, notamment en matière d’aides aux entreprises, d’aménagement du territoire et de soutien à la recherche et à l’enseignement supérieur. Nous aurions donc été très sensibles à la reconnaissance de l’opposabilité juridique des schémas régionaux sur l’ensemble du territoire régional, y compris les grandes agglomérations.

Sans cela, nous veillerons alors à ce que les politiques publiques mises en œuvre par les métropoles prennent en compte a minima les schémas régionaux lors de leur élaboration. C’est dans la même logique que nous demanderons, par voie d’amendement, la suppression de toute possibilité de délégation des régions vers les métropoles, la suppression de la participation des métropoles au co-pilotage État-région des pôles de compétitivité et, surtout, la suppression de la prise en compte par les régions de la stratégie de développement économique et d’innovation arrêtée par les métropoles. Nous avons, là, un retournement : une région se trouverait sous la dépendance directe des métropoles.

Un statut particulier pour Lyon : pourquoi pas en Bretagne ?

Par ailleurs, la création d’un statut de collectivité particulière, aujourd’hui pour Lyon, sans doute demain pour Paris et Marseille, nous interpelle. Pourquoi les régions dotées, pour celles qui le demandent, d’un statut particulier ne sont-elles pas considérées comme majeures et prêtes à relever ces mêmes défis ? Telle est la question. En effet, ce qui a été rendu possible pour Lyon doit l’être pour la Bretagne, le Pays basque ou l’Alsace, là où des expressions citoyennes et politiques fortes se sont exprimées. Nous regrettons que rien ne soit proposé par le Gouvernement pour faire reconnaître le principe de différenciation, permettant ainsi de créer des collectivités locales à statut particulier aux compétences spécifiques pérennes et sécurisées sur le plan juridique. Je tiens, d’ailleurs, à exprimer très clairement notre opposition a l’amendement du Gouvernement visant à supprimer la liste des compétences pouvant faire l’objet d’une délégation de la part de l’État aux collectivités territoriales en ayant fait la demande.
Il s’agit des domaines liés à l’organisation et au soutien aux politiques culturelles, au développement de l’audiovisuel, à la gestion de la politique de l’eau, à l’orientation professionnelle et la santé scolaire : autant de sujets auxquels la gestion par les régions apportera une réelle plus-value. Dans le domaine de l’audiovisuel, la chaîne publique régionalisée Via Stella en Corse est une réussite.
Si cet amendement de suppression du Gouvernement était voté, cela rendrait les possibilités de délégations inopérantes. Pourquoi nier, aujourd’hui, cette possibilité aux régions, alors que la demande existe et que les expériences menées actuellement sont très positives ? On a entendu les mêmes conseils de prudence naguère s’agissant des demandes d’expérimentations et de différenciations. L’expérience a montré qu’avec le transfert de compétences à la région, cela marchait et cela marchait même très bien ! Je veux, bien évidemment, parler de la gestion des trains express régionaux, des lycées ou encore de la formation professionnelle qui donne toute satisfaction. Les résultats sont les mêmes concernant la gestion des fonds européens : la région Alsace les gère en direct depuis des années et l’expérimentation est concluante.

C’est pourquoi nous nous félicitons que soit prévu dans ce projet de loi un début de régionalisation de la gestion des fonds européen. Toutes ces expériences ont, au final, donné de bons résultats. C’est sur ces constats objectifs que s’appuie notre conviction que décentraliser revient, aujourd’hui, à régionaliser.

C’est mus par ces convictions, que nous souhaitons renforcer le rôle de chef de file de la région bien que les chefs de filât consistent en un palliatif à une réelle délégation de compétences. Il est vrai que le rétablissement des clauses de compétences générales pour les départements, que nous souhaitons, à terme, voir disparaître, ainsi que pour les régions, n’a pas permis d’entrevoir une réelle clarification des compétences. C’est ainsi qu’après avoir fait, en commission, de la région le chef de file en matière d’enseignement supérieur et de recherche, nous demanderons à ce qu’elle le devienne pour les langues et cultures régionales, le tourisme ainsi que pour le climat et les énergies renouvelables.

S’agissant du rôle du département, ne voyez pas dans mes propos un désaveu des hommes qui portent et font vivre cette collectivité territoriale. Néanmoins, nombreux sont les élus locaux, en particulier dans ma région, qui conviennent que le département né à la fin du XVIIIe siècle n’est, aujourd’hui, pas assez proche pour faire du local et pas assez grand pour avoir la hauteur de vue lui permettant de faire de la stratégie et de la prospective. Les compétences du département pourraient être avantageusement redistribuées pour une meilleure efficience de l’action publique entre, d’un côté, les EPCI basés sur les bassins de vie et, d’un autre côté, la région. Nous aurions là une véritable simplification, une rationalisation, une source d’économies en ces temps de difficultés. Pourquoi ne pas commencer en région Bretagne, par exemple ?

Clarification des compétences et simplification du mille-feuille

Toutefois, pour clarifier l’architecture, un énorme effort de transparence et de démocratie doit être consenti. Je tiens à vous le préciser de la manière la plus solennelle possible, car il s’agit pour nous d’un point essentiel. Comment admettre que des institutions telles que les métropoles aussi puissantes et maniant des budgets colossaux ne soient pas soumises aux mêmes principes de contrôle démocratique que les autres collectivités territoriales ? La métropole est organisée selon un modèle présidentiel fort avec une absence de séparation des pouvoirs.
Le conseil de métropole, instance exécutive et délibérative, élit en son sein le président de la métropole qui, assisté de ses nombreux vice-présidents, a toute latitude pour organiser la politique métropolitaine. En l’absence de proportionnelle, le fait majoritaire sera amplifié et les contre-pouvoirs quasi inexistants. Le schéma prédominant est l’entente politique entre chefs de l’exécutif sous le contrôle bienveillant du président de métropole. L’accumulation de couches aux pouvoirs importants, mais sans légitimité démocratique suffisante, est un mauvais signal.

Nous avons étudié pendant plusieurs semaines le mode d’élection des conseils départementaux, lesquels auront moins de marges de manœuvre et d’influence que les métropoles. Comment ne pas comprendre que les citoyens s’éloignent de la vie politique quand ils n’entendent rien à nos institutions et à la façon dont sont nommés ceux qui les dirigent ? C’est ainsi que l’on sape la démocratie et que l’on crée l’abstention et le vote extrême. Il est indispensable que l’élection au sein des communautés urbaines et des conseils métropolitains se fasse au suffrage universel direct le plus rapidement possible.
Nous défendrons de nombreux amendements portant sur la démocratie, le mode de scrutin, le cumul, la gouvernance et la parité femmes-hommes. Au moment où la parité femmes-hommes sera établie dans les conseils généraux, elle restera exclue des métropoles et notamment de la métropole du Grand Paris.

Le nécessaire renforcement de la démocratie et l’absence de régionalisation faute d’une véritable clarification des compétences sont les deux grandes raisons pour lequel ce texte ne nous satisfait pas dans l’esprit. Il est trop loin de ce que nous avons toujours défendu. Nous ne vous en faisons pas grief, mesdames les ministres, car ce n’était pas la commande que vous avez reçue. Soit !
Quant à nous, avec l’esprit d’initiative et parfois d’audace qui nous caractérise, nous ferons le nécessaire pour tenter d’améliorer ce texte, parce que, dans son état actuel, nous ne pourrons le voter.

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